page suivante »
358 LA REVUE LYONNAISE sur le rond de bœuf de Mm° B..., le temps commençait à paraître long, et les hôtes de mistress Smith calculaient que leur faim crois- sait en raison inverse de leur curiosité. Ils attendirent, ils attendirent encore ; enfin, la cruelle vérité se fit jour... dans son empresse- ment à étudier, avec ses convives, les éléments des dîners de ses voisins, mistress Mary Smith avaitoublié de commander le sien!... Vers le milieu du mois de mars, un événement inattendu mit toute la ville en émoi. Un étrangerétait arrivé à Valton et descendu à l'hôtel du Cerf-Blanc. A part cela, il n'y avait rien de bien remarquable dans cet étranger. C'était un homme d'un âge mûr, d'un extérieur respectable ; la plus minutieuse investigation (et je laisse à penser avec quel soin cette investigation fut faite), ne put découvrir en lui quelque chose d'extraordinaire. Il fut démontré, par preuves certaines, qu'il se levait à huit heures, déjeûnait à neuf, mangeait deux œufs et un morceau de lard rôti, s'asseyait ensuite à sa fenêtre, lisait un peu, écrivait un peu, et regardait beaucoup sur la route. Après quoi il allait se promener, revenait à la maison, dînait à cinq heures, fumait deux cigares, lisait le Morning-Herald (car le courrier n'arrivait que le soir), et enfin se couchait à neuf. Rien déplus régulier et de moins exception- nel que ses habitudes ; mais quel motif l'avait amené à Valton ? C'était là l'extraordinaire. Il n'y avait point aux alentours de la ville de sources ferrugi- neuses ou alcalines renommées pour la cure de tous les maux, point de ruines dans le voisinage, laissées là exprès pour les antiquaires et les pics-nics, point de beaux points de vue, qu'on se fait, comme pour la musique, un cas de conscience d'admirer. Aucun homme illustre n'était né ou enterré dans le voisinage, il n'y avait ni courses de chevaux, ni assises de justice, en résumé, il n'y avait « rien ». Il n'y avait pas même l'été; ainsi ce n'était ni l'air, ni le climat qui avait attiré l'étranger. Son nom était M. Williams, mais là s'arrêtaient les données. Silencieux et réservé comme m'était, il n'était pas probable qu'on • sût rien de plus sur lui par lui-même. « Les conjectures, comme le dit Shakespeare, épuisèrent le monde et en imaginèrent de nou- veaux. » Quelques-uns supposaient qu'il était poursuivi par ses créan-