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LE PRÉSIDENT BAUDRIER En d'autres temps, moins tristes que les nôtres, quand notre ancienne et grande magistrature pouvait obéir à ses nobles tradi- tions, il était d'usage dans les Cours ' que, le jour de leur rentrée, le magistrat du Parquet chargé de prononcer le discours, rappelât les noms de ceux qui, dans l'année judiciaire précédente, avaient quitté leurs sièges, par suite de limite d'âge ou devancé volontai- rement l'heure de leur retraite ou que la mort avait ravis. C'était un pieux et dernier hommage qu'on leur rendait ainsi, un dernier adieu qu'on envoyait à des collaborateurs aimés dont la Cour regrettait l'éloignement. Mais, cette année, le Pouvoir après avoir mutilé et décimé la magistrature , a exigé qu'elle rompît aussi avec cette belle tradition, et le nom vénéré de M. Baudrier, arraché de son siège, n'a pas pu être prononcé, lors de la dernière re- prise, par la Cour, de ses travaux habituels, et ne le sera pas davantage à la prochaine rentrée. Mais cet étrange ostracisme, au lieu d'amoindrir les magistrats qui en ont été victimes, n'a fait 1 « Un usage qui remonte à plusieurs siècles, veut qu'aux audiences solennelles, les magistrats que l'âge ou la mort avaient séparés delà compagnie, reçussent un public hommage. Seuls, les indignes en étaient privés. Le silence gardé sur leurs noms était pour tous leurs collègues et pour les avocats présents à la barre, le sir/ne du déshonneur. M Marlin-Feuillè n'a pas hésité... il a assimilé ceux qu'il élimi- nait à des magistrats indignes, essayant par là de les flétrir. Défense a donc été faite à tous les magistrats de France de parler dans leurs discours de rentrée de ceux que le bon plaisir de la Chancellerie avait exclus... Tant il est vrai qu'on ne peut entrer dans une voie fausse et commettre certains actes, sans arriver, par une pente fatale, jusqu'à ordonner des iniquités qu un jour on rougira d'avoir prescrites. » (M. Picot, de l'Institut. Une épuration radicale. Reçue des Deux-Mondes, 1884). AOÛT 1884 - T. IX S