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                               BIBLIOGRAPHIE                                     105

de Requesens, l'insuffisant et léger remplaçant du duc d'Albe, ni même de Phi-
lippe II, dont l'austère et impassible visage projette du fond de l'Escurial son
ombre jusque sur les rives d e l à mer du Nord. Mais son implacable lieutenant,
Don Alvarez de Tolède, mais Guillaume de Nassau, quels riches modèles pour le
peintre et quels portraits tentants pour l'historien!
   Sans négliger le premier, dont sa plume accuse les vigoureux reliefs,
M. Kervyn de Lettenhove s'est de préférence attaché au second, et c'était justice.
Si tous deux, en effet, sont à la fois hommes d'Etat et hommes de guerre, la
science de profiter des événements et de tromper ses adversaires l'emporte chez
l'un sur celle de les battre autant que chez l'autre le capitaine domine le poli-
tique.
   Le duc d'Albe, c'est le soldat armé de toutes pièces, dont la cuirasse, impéné-
trable au fer, est froide, dure et rigide comme lui; il semble qu'on le connaisse
 dès qu'on en a fait le tour, quoiqu'il no.se livre jamais. Mais le Taciturne, que
l'on se représente volontiers à la façon d'un Cromwell, nerveux, tranchant, amer
et résolu, comme l'on est loin de compte, et comme il est difficile de saisir ce
protée aux mille formes ondulantes, qui suit obstinément sa route, mais en se
dérobant sans cesse et en glissant toujours dans la main! On. se rappelle la belle
image qu'a tracée de lui Schiller : «... Son esprit varié et fertile savait se faire
craindre et ne se fatiguait jamais. Assez souple et flexible pour adopter à l'instant
toute espèce de nuances, assez réservé pour n'avoir jamais un moment d'oubli,
assez ferme pour supporter toutes les vicissitudes du sort, Guillaume n'avait pas
d'égal dans l'art de pénétrer les hommes et de gagner les cœurs, non que,
suivant l'usage des cours, il fit prononcer à ses lèvres des paroles que son cœur
généreux eût démenties, mais parce qu'il n'était ni avare ni prodigue des marques
de sa faveur et de son estime;... son génie enfantait lentement ; mais ses concep-
tions avaient le caractère de la perfection. Lorsqu'il avait adopté un plan,
aucune résistance ne pouvait le lasser et aucun obstacle ne l'aurait détourné do
son but;... quelque élevé que fût son caractère au-dessus de l'effroi dans le malheur
ou de l'ivresse dans le succès, il était cependant soumis à la crainte, mais cette
crainte avait devancé le danger, et il était tranquille dans le moment de crise,
parce qu'il avait tremblé dans le repos. » C'est le héros idéalisé par un poète :
bien que plusieurs de ses traits soient ressemblants, ce n'est pas tout l'homme.
Pour le bien connaître, il faut lire M. Kervyn de Lettenhove, qui ne dresse point
sa statue en pied, mais qui le met en action, d'après des documents nouveaux,
dont l'authenticité atteste l'exactitude. Ainsi, l'érudit belge a découvert que le
fameux appel au peuple, dressé en mai 1572, dont depuis trois siècles on fait
honneur au Taciturne, était l'œuvre de Wesembeke, et qu'il fut imprimé sous le
nom du prince d'Orange à l'iasu de celui-ci. Guillaume était fort capable
de l'écrire, mais il eût longtemps hésité avant de le publier. Chose étrange! ce
glacial politique, cet ambitieux obstiné, qui a souvent battu en retraite, mais
sans paraître s'être découragé jamais, apparaît parfois le plus perplexe des
hommes : ses partisans sont contraints de le jeter à la mer pour le mettre à la
nage ; en pleine campagne, il temporise, il hésite, il semble n'avancer que
malgré lui. On l'a accusé de pusillanimité. La mot est trop fort, s'il signifie
manque de courage personnel ; il est juste, s'il exprime les irrésolutions de
l'homme qui attend plus de l'astuce que de son épée. Ce n'est pas de haute lutte
qu'il conquerra le pouvoir souverain ; mais il amènera les choses au point de se