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       Cette science et cette habileté nuisent-elles au style naturel i Nullement. Bien au
 contraire, elles le servent. Inventer de nouvelles combinaisons sonores, est-ce donc
 faire de l'artificiel, ou de l'artificieux i Non ; c'est tout simplement faire de l'art. Corot
 manque-t-il de naturel parce que nul peintre avant lui n'avait su trouver sur sa palette
 des tons aussi fins et aussi vrais pour rendre la transparence humide et la tiédeur d'une
 matinée de printemps i Renan manque-t-il de naturel parce que nul n'avait écrit une
 prose aussi exactement et délicatement nuancées' Un auteur manque de naturel
 quand il étale avec ostentation son savoir-faire pour le faire admirer. Vous trouverez
cela (d'ailleurs ce n'est pas toujours méprisable) chez des poètes comme Théophile
 Gautier ou Victor Hugo, chez des peintres comme Carolus Duran ou Rochegrosse ;
vous ne le trouverez pas dans une seule page de Witkowski.
      Le style naturel est celui qui fournit l'expression la plus complète et la plus juste
de ce qu'il s'agissait d'exprimer, celui qui rend le mieux ce que l'auteur a senti ; c'est
donc aussi le style le plus personnel, celui où il y a le moins de convenu, celui qui use le
 moins de formules toutes faites et de procédés traditionnels. Pour cela, il est nécessaire
que les moyens d'expression soient abondants et souples. Pascal a cent fois plus de
variété dans les mots et la structure des phrases que Racine, dont le vocabulaire est si
réduit et la grammaire si simple ; Pascal est cent fois plus naturel que Racine. Le style
naturel, c'est-à-dire l'expression vraie, règne dans toute sa magnificence dans les
Passions de Bach, dans la Messe solennelle de Beethoven ; il peut manquer complète-
ment dans une simple « Feuille d'album », dans une simple mélodie pour chant et
piano. Pensez-vous qu'une cavatine du théâtre italien soit du style naturel i
      A moins que par le naturel vous n'entendiez la facilité. Mais la facilité n'a jamais
produit rien qui vaille. On n'invente pas, on ne crée pas sans travail. Il est vrai qu'on
peut faire difficilement des choses faciles. Mais qui donc reprocherait à Witkowski,
ayant à sa disposition un excellent orchestre, formé par lui et qu'il dirige en maître, de
se plaire surtout à de grandes compositions orchestrales i Et ces grandes compositions,
quand nous y serons mieux habitués, quand nous en saisirons sans effort les lignes
architecturales, toujours simples et larges,, quand les traits épisodiques, mis à leur
place, ne nous étonneront et déconcerteront plus, qui sait si elles ne nous apparaîtront
pas comme des choses faciles difficilement faites i Faciles à exécuter, elles ne le sont
certes pas. Mais je suis sûr qu'elles ne tarderont pas à paraître faciles à saisir, dans
leur ensemble et dans leurs détails. Il suffit pour cela que nous remportions sur la
modestie de l'auteur cette victoire, de les entendre plus souvent.
      Dans la musique de Witkowski, il n'est pas une nouveauté qui ne s'explique et ne
se justifie par le besoin de l'expression juste et précise, de l'expression vraie. En don-
nerait e quelques exemples i
      Lorsque je reçus de ses mains, ornée d'une précieuse dédicace, la partition du
Poème de la Maison, je me mis aussitôt à la lire, dans la rue et sur le quai du Rhône. Je
fus arrêté dès les premières mesures de cet admirable prélude qui n'enferme pourtant,
chacun l'avouera, aucune obscurité. J'y découvrais sans peine une pédale double de
tonique et de dominante, qui devient bientôt une pédale triple, ce qu'on appelle en