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justice à laquelle il a droit, mais encore parce que c'est le seul moyen
de comprendre comment l'Entente, sous l'impulsion anglaise, a été amenée
à faire confiance à la Grèce, au point de faire porter sur elle le poids de
toute sa politique orientale. Il ne faut pas se dissimuler que les diplomates
et les hommes d'Etat auxquels revenait la tâche délicate d'ajuster la
situation orientale connaissaient assez mal les choses et les hommes d'O-
rient. Ils étaient dans le cas de cet éminent philhellène qui, je crois,
reçut le titre de citoyen d'Athènes et qui avouait, en 1915, qu'au cours
d'une existence déjà longue, pendant laquelle il n'avait pas varié dans sa
sympathie agissante pour l'hellénisme, il n'avait pas trouvé le loisir de
traverser une seule fois la mer Ionienne et de mettre le pied en Grèce.
On ne saurait donc s'étonner de ce qu'ils aient vu la Grèce à travers
M. Venizelos. Le grand homme a masqué la petitesse du pays. Car quelque
regret qu'on puisse avoir de contrister le cœur du patriote ardent qui a
tant fait pour son pays, il faut reconnaître qu'il est loin, très loin de ses
compatriotes, aussi loin qu'ils sont eux-mêmes de l'ancienne Grèce,
encore qu'ils se plaisent à revendiquer l'héritage des héros du passé et
à se parer de leurs noms. Il faut avoir le courage de dire que la Grèce est
un petit pays, petit par son étendue territoriale et le nombre de ses habi-
tants, petit par ses ressources économiques, petit par ses méthodes admi-
nistratives, ses habitudes politiques, sa versatilité. Or c'est une tâche et
grande et lourde que celle que M. Venizelos assuma en son nom.
     Il faut se faire une règle de parler des pays étrangers, surtout des
petites nations, avec précaution et surtout avec impartialité s'il se peut.
Il y a en pareil cas deux travers à éviter, l'un aussi dangereux et on peut
ajouter aussi ridicule que l'autre, celui de l'extrême rigueur, injuste et
dédaigneuse, et celui de la complaisance exagérée. Il faut se garder de
la phobie comme de la philie. Il faut juger les étrangers avec une certaine
bienveillance qui n'est au fond qu'une précaution contre les préjugés
naturels, mais avec le très ferme propos de voir surtout en eux ce qui
peut servir l'intérêt général et aussi l'intérêt français. Rien n'est regretta-
ble comme le mépris plus ou moins bien dissimulé de beaucoup de Fran-
çais pour les pays où ils se trouvent amenés par le hasard des choses.
Que d'officiers de nos corps expéditionnaires tombent dans ce travers.