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      Ce système de gouvernement, la Constitution américaine, il est à peine besoin
de le dire, ne le formule pas. Il s'est développé peu à peu au cours du siècle dernier,
en même temps que se modifiait la Constitution elle-même et à l'encontre des prin-
cipes qu'elle proclamait. Etrange destinée des institutions! La Constitution de 1787
voulait être immuable ; à tout le moins, comme le soulignait justement le professeur
Garner (1), elle se présente sous un aspect rigide et inflexible, n'admettant que
bien difficilement les retouches, puisque le moindre amendement requiert la majorité
des deux tiers des membres du Congrès et la ratification par les législatures des
trois quarts des Etats. Et cependant elle a été, en fait, si profondément modifiée —
en dehors de la procédure des amendements — qu'un auteur américain a pu écrire
en 1919 une étude intitulée la nouvelle Constitution des Etats-Unis ! (2).
      Cette transformation a pris, d'ailleurs, une forme inattendue et peut-être
unique dans l'histoire. Les constituants de 1787 avaient eu la volonté dominante
de réaliser l'équilibre entre les trois branches, executive, législative et judiciaire du
Gouvernement fédéral. Sous l'influence de Montesquieu et de l'Esprit des Lois, ils
avaient adopté le dogme de la séparation des pouvoirs. Chacun de ceux-ci était
cantonné dans un compartiment bien clos de l'activité gouvernementale. Or, depuis
un quart de siècle, cet équilibre est définitivement rompu. Une fois de plus, le
dogme de la séparation des pouvoirs a fait faillite. Il est arrivé là-bas ce qui s'est
produit en France et en Angleterre, où le Pouvoir législatif a pris le pas sur les deux
autres et où s'est instauré de la sorte le gouvernement parlementaire. Seulement,
en Amérique, c'est le Pouvoir judiciaire qui a soumis les autres à son contrôle et
par là s'est établi un régime de gouvernement par les juges.
      Nous ne pouvons songer à décrire, d'après la très belle étude de M. Lambert,
les origines et le fonctionnement de ce gouvernement par les juges. Nous voudrions
seulement, après avoir noté les formes sous lesquelles il s'exerce, en marquer les
traits essentiels et soulever la question de savoir s'il y aurait intérêt à défendre chez
nous l'idée qu'il représente.




     La suprématie judiciaire s'est établie, aux Etats-Unis, par le moyen du contrôle
des tribunaux sur la constitutionnalité des lois et par le moyen de l'interprétation
judiciaire des statuts. Ce sont les deux formes sous lesquelles les juges exercent
aujourd'hui leur gouvernement.

     (1) M. le Professeur Garner, de l'Université d'IUinois, a fait une série de conférences à notre
Faculté de Droit, en février dernier, sur la Constitution américaine, les Pouvoirs du Président de la Ré-
publique, les principes fondamentaux de la politique extérieure des Etats-Unis, auxquelles nous ferons
allusion plusieurs fois au cours de cette chronique.
    (3) M. R. Lynn Bâtes, The new Constitution of U. S., cité par M. Lambert, p. 13.