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 endormie parmi les arbres au chant des oiseaux. L'imitation, chez Witkowski, n'est
jamais réaliste ; elle ne retient des choses que leur physionomie, leur grâce, leur esprit,
les émotions qu'elles suggèrent. De même un tableau ne doit pas être un trompe-
l'œil, ni une description littéraire un inventaire.
      Witkowski est un éminent créateur de rythmes. Il me dit un jour (il y a peut-être
 dix ou quinze ans de cela) : « Oh ! ces barres de mesure ! que je voudrais les voir dispa-
raître. — Supprimer les barres de mesure! m'écriai-je. Comment serait-ce possibles'
— Je sais bien, parbleu! qu'on ne peut pas les supprimer. C'est une nécessité qu'il
faut bien subir. On ne peut pas maintenir l'ensemble d'un grand nombre d'exécu-
tants sans battre la mesure. Mais quel joug et quel énervement que ce retour implaca-
ble du temps fort à intervalles égaux ! Combien la période sonore serait plus libre et
s'approcherait davantage de l'expression vraie et naturelle, si elle n'était pas astreinte
à la régularité systématique de la mesure, à la discipline rigide du métronome ! ».
      Je saisis mal, à cette époque, la pensée du Maître. La régularité rythmique, me
disais-je, n'est pas seulement nécessaire pour l'exécution des ensembles, puisque la
musique écrite pour un seul exécutant a aussi des mesures et des barres de mesure.
Elle est de l'essence même de la musique comme le mètre est de l'essence de la poésie.
C'est un élément d'ordre. La raison y trouve une satisfaction. Il appartient à l'artiste
d'en faire un élément de beauté. Et c'est aussi un puissant moyen d'expression. Les
diverses mesures et les divers mouvements ont une valeur expressive indiscutable.
La mesure est-elle si tyrannique i On ne manque pas de l'accélérer, de la ralen-
tir, de la suspendre toutes les fois que l'expression l'exige. On peut même s'en
affranchir tout à fait : certains anciens préludes d'orgue ou de clavecin ne sont pas du
tout mesurés. Si les vieux maîtres ont rarement écrit ainsi, c'est que le besoin même de
l'expression les ramenait vite à la musique mesurée. La musique non mesurée, c'est de
la prose musicale. — La mesure, d'ailleurs, n'est pas le rythme. Rien n'empêche d'ap-
pliquer sur cette division régulière du temps les rythmes les plus divers, de diviser et
subdiviser les temps ou de les unir en des notes tenues, de déplacer même l'accen-
tuation par des syncopes. Et il semble que la régularité de la mesure soit nécessaire
pour percevoir les valeurs de ces notes diversement longues et diversement brèves.
      Je me disais tout cela et ne comprenais pas l'ayersion de Witkowski pour les
barres de mesure. Je comprends maintenant ce qu'il cherchait. Il voulait assouplir
le rythme pour lui donner toute sa valeur expressive, et cela malgré les exigences
de la polyphonie. Il y est arrivé en superposant des rythmes qui ne coïncident
pas. On pratiquait depuis longtemps les « deux pour trois », plus rarement les
« trois pour quatre » .Witkowski utilise les « quatre pour cinq » et les « cinq pour
six » et bien d'autres combinaisons encore. Il lui arrive de composer une mesure
en trois temps de la façon suivante : la valeur de la première noire est représentée
par un triolet de croches, puis celle des deux noires qui restent et qui valent une
blanche est remplacée par un triolet de noires. Une fois qu'on s'est habitué à une
mesure aussi insolite, on la trouve parfaitement naturelle, et il arrive qu'elle réalise,
pour les paroles, la diction la plus naturelle et la plus expressive. Parfois les chœurs