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à prendre des leçons de langue anglaise auprès d'un prisonnier de guerre
en résidence à Mâcon, le préfet avait signifié au père, au nom de l'Empe-
reur, de faire cesser cette étude de son fils « s'il ne voulait pas porter
ombrage au gouvernement ». Ah ! cette tyrannie de l'Empire, comme elle
avait pesé lourdement sur ces jeunes intelligences, avides de reprendre le
problème de la liberté au point où l'avaient porté les généreux réformateurs
de 1789, à égale distance d'un despotisme suranné et d'une anarchie
fâcheuse! Tout à coup, dans le lourd silence de l'esclavage, deux voix
s'étaient fait entendre, qui ramenaient de l'exil la pensée et la poésie pour
ressusciter les âmes. Nul n'a célébré avec plus de ferveur que Lamartine
ces deux génies, M me de Staël et Chateaubriand, l'un qui « lançait dans
le monde ces pages sublimes et palpitantes que le pilon de la police
écrasait, que la douane de la pensée déchirait à la frontière, que la
tyrannie faisait bafouer par ses grands hommes jurés, mais dont les lam-
beaux, échappés de leurs mains flétrissantes, venaient nous consoler de
notre avilissement intellectuel » ; l'autre « qui cherchait l'étincelle du feu
sacré dans les débris des sanctuaires, dans les ruines encore fumantes
des temples chrétiens et qui, séduisant les démolisseurs mêmes par la
pitié et les indifférents par le génie, retrouvait des dogmes dans le cœur
et rendait de la foi à l'imagination » (3).
      La chute de Napoléon retentit profondément au cœur de Lamartine,
dont l'oisiveté de Milly et les plaisirs de Paris mettaient la jeunesse à
une rude épreuve. « Quand il tomba, disait-il plus tard à l'un de ses
familiers, je sentis un poids de trente atmosphères de moins sur le corps
et la pensée » (4). Il allait pouvoir entrer dans la vie active ; il fut présenté
par son père à ses amis de la cour et reçu dans la compagnie des gardes
du corps.
      A la nouvelle du débarquement de Napoléon au golfe Jouan, La-
martine, qui était en congé dans sa famille, rejoignit son poste ; il fit
tout son devoir, escortant Louis XVIII jusqu'à la frontière où il fut
désarmé et reçut sa feuille de route pour rentrer à Mâcon. Il s'arrêta
quelques jours à Paris sans se faire connaître : « J'y vis Napoléon, a-t-il
écrit, revenant un jour de visiter la maison d'éducation des filles de Saint-
Denis. Il passait rapide et pensif, seul dans sa voiture, dans la rue de la