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directe des moyens qu'il emploie dès que son esprit, avec sa mer-
veilleuse lucidité, a conçu.
      Quand on cause avec M. Venizelos, ce qui vous frappe le plus pro-
fondément outre la netteté de ses idées politiques, c'est la fraîcheur
de ses impressions. Il semble que quoiqu'il ait été mêlé à tant de grandes
choses, son esprit n'ait pas en quelque sorte été défloré et qu'il garde
encore, avec une part d'illusions, la faculté de sentir très fortement. Et
cela s'explique quand on pense à ce qu'a été son existence. Avocat dans
un coin perdu de l'empire ottoman, habitant une petite ville de son
île natale, n'ayant assigné dès sa jeunesse qu'un but à son activité,
la réunion de sa patrie à la Grèce, n'entendant que l'écho lointain et
très affaibli des bruits qui agitaient le monde, vivant d'une vie très simple
et, somme toute, très voisine de la nature, pouvant d'ailleurs, par le rôle
qu'il voulait jouer, être à tout moment jeté dans des aventures qui nous
semblent d'un autre âge, c'est-à-dire, amené à prendre la montagne, à
être réduit à l'existence errante et aventureuse du comitadji, tel est l'homme
qui, d'un seul coup et sans transition, a été porté par les événements à
la tête du gouvernement de la Grèce, et, son pays ayant grandi grâce à
lui et s'étant trouvé mêlé à toutes les grandes affaires orientales et euro-
péennes, cet homme a été brusquement mis en contact avec les hommes
d'Etat de toute l'Europe. En présence de ces politiciens et de ces fonc-
tionnaires blanchis sous le harnais, accoutumés à rencontrer des difficultés
administratives de tout ordre et à les tourner élégamment par des solutions
ingénieuses certes mais généralement peu opérantes ; en présence de ces
hommes qui, devant un problème à résoudre, vont d'habitude et d'instinct
aux petits moyens, qui visent à ménager toutes les oppositions, il apportait
un esprit neuf, épris de réalité, formé plutôt par la méditation et l'obser-
vation des hommes que par les lectures, ne cherchant et ne voyant en
toute chose que le but à atteindre, il apportait surtout une activité que
n'avait pas encore lassée la résistance des inerties administratives. Il
arrivait tout frais, n'ayant eu sa vision faussée par aucune déformation
professionnelle et, ce qui est surprenant, c'est que cette fraîcheur, malgré
les luttes si dures qu'il a eues à soutenir, il l'a conservée presqu'intacte.
C'est à elle qu'il faut attribuer une grande partie du charme pénétrant
et de la séduction si profonde qui émanent de lui.