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— 282 — que trace du juriste américain M. Clarke B. Whittier ne peut-il s'appliquer, presque trait pour trait, aux juristes français : « Il n'est guère douteux, écrit-il, que les juristes forment l'un des éléments les plus conservateurs de notre population. Les banquiers, les grands manufacturiers, les capitalistes en général, sont naturellement craintifs de changements dont ils ne peuvent prévoir l'effet. Il est presque également naturel que leurs conseillers légaux, placés dans un étroit contact avec eux, apprenant ainsi à voir et à apprécier par leur point de vue, partagent leur conservatisme. En outre, l'entraînement quotidien du juriste, l'éternelle chasse au précédent, la grossière flatterie dont le Common law est l'objet dans les traités de droit, vieux ou récents, tout incline le juriste à regarder vers le passé et à se fier à lui uniquement ou, tout au moins, principalement»(i). Et, en effet, le juriste se trouve comme enserré dans une technique dont les mailles étroitement soudées n'offrent guère d'issue, et qui, représentant, dans une large mesure du moins, la cristallisation des idées de toutes sortes léguées par le passé, s'oppose, d'une façon d'autant plus efficace qu'elle est plus dissimulée, à toute transformation du milieu social. Cependant si, dans tous les pays, l'influence conservatrice du Judiciaire s'exerce à des degrés divers, elle a pris, aux Etats-Unis, une importance telle, qu'elle a donné aux Cours, nous l'avons vu, une véritable suprématie politique. Ne peut-on, dès lors, se demander s'il y aurait intérêt et possibilité à préparer chez nous l'avènement d'un tel système de gouvernement ? « Ceux qui pensent, écrit M. Lambert, que la redoutable crise intérieure que nous traversons ne peut être surmontée que par une persistance inflexible dans nos traditions économiques du xixe siècle, trouveront dans la méditation de l'exemple américain d'excellentes raisons pour justifier leur croyance instructive aux vertus du contrôle judiciaire des lois. Ils y puiseront la démonstration par les faits delà parfaite aptitude de cette construction originale de la pratique américaine à nous fournir, par sa transplantation chez nous, le robuste corset de fer qu'ils estiment indispensable pour renforcer les cadres chancelants et crevassés de notre organisation sociale et y refouler les forces indisciplinées, déchaînées par le contre-coup de la guerre, qui tendent à les déborder et à les faire éclater. Pour défendre l'ordre moral existant contre les défaillances et l'esprit de concessions possibles des législations à venir, on ne saurait, en effet, recourir à des gardiens plus vigilants et plus tenaces que ne le sont les juges. Car les cours de justice reflètent la mentalité moyenne de la profession légale qui, en tous temps et en tous lieux, a toujours été la mentalité sociale la^ moins perméable aux ferments révolutionnaires ou même réformistes » (2). Rien de plus simple, d'ailleurs, que d'installer en France un pareil régime. Il suffirait d'accorder à nos tribunaux le contrôle de la constitutionnalité des lois, en abritant sous cette protection non seulement les principes de la constitution de 1875, mais surtout les principes de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen. (1) Cité par M. Lambert, p. 222. (2) Lambert, p. 221.