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      Mais avant que cet affront nous eût été infligé, l'opinion, en France,
acclama la « victoire » de Thiers, qui pansait une blessure de l'orgueil
national. La presse exultait ; Doudan écrivait à M me d'Haussonville :
« Une nation n'est pas un philosophe ni un poète tragique. Elle n'aime
pas que des sentinelles étrangères gardent le tombeau de ses grands
capitaines ».
      Lamartine ne partagea pas l'enthousiasme général : « Thiers, écrivait-
il, le 12 mai 1840, est entre les mains des passions dont il s'est fait l'allu-
meur et le serviteur. Cela mènera très loin. Les cendres de Napoléon ne
sont pas éteintes, et il souffle les étincelles. Que Dieu nous sauve! car
il n'y a plus de roi et point de peuple ».
      Un même vertige avait gagné Louis-Philippe, ses ministres, la
France entière ; Lamartine lutta contre cette exaltation patriotique.
      Déjà, le 2 mars 1837, dans une discussion à la Chambre des députés
sur un projet de loi établissant des juridictions différentes pour les procès
où des militaires seraient impliqués avec d'autres citoyens dans des com-
plots contre la sûreté de l'Etat, Lamartine avait poussé un cri d'alarme
et signalé le péril de relâcher la discipline et de désarmer la société en
face d'un gouvernement qui relevait dans l'admiration des foules les
souvenirs napoléoniens : « Dans un pays tout militaire comme la France,
s'écriait-il, dans un pays qu'on fascine, qu'on enivre tous les jours de
gloire et de louanges au despotisme heureux, qu'on fanatise pour la mé-
moire d'un despote glorieusement absous par la guerre seule, dans un
pays qui est à si peu de distance du 18 brumaire et du 20 mars 1815,
dont il ne doit pas perdre le souvenir... dans un pareil pays, où la liberté
est bien plus dans nos désirs que dans nos habitudes, je dis que le despo-
tisme du sabre passerait bientôt par la brèche que vous auriez laissée
ouverte (16) ».
      En 1840, le danger s'était accru, et Lamartine, qui n'hésitait pas à
se compromettre quand le devoir était en jeu, mit vigoureusement en
relief, dans la séance du 26 mai, les dangers de cette apothéose de Napo-
léon : « Je ne me prosterne pas devant cette mémoire, disait-il ; je ne suis
pas de cette religion napoléonienne, de ce culte de la force que l'on veut
depuis quelque temps substituer dans l'esprit de la nation à la religion