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— 250 — Mais avant que cet affront nous eût été infligé, l'opinion, en France, acclama la « victoire » de Thiers, qui pansait une blessure de l'orgueil national. La presse exultait ; Doudan écrivait à M me d'Haussonville : « Une nation n'est pas un philosophe ni un poète tragique. Elle n'aime pas que des sentinelles étrangères gardent le tombeau de ses grands capitaines ». Lamartine ne partagea pas l'enthousiasme général : « Thiers, écrivait- il, le 12 mai 1840, est entre les mains des passions dont il s'est fait l'allu- meur et le serviteur. Cela mènera très loin. Les cendres de Napoléon ne sont pas éteintes, et il souffle les étincelles. Que Dieu nous sauve! car il n'y a plus de roi et point de peuple ». Un même vertige avait gagné Louis-Philippe, ses ministres, la France entière ; Lamartine lutta contre cette exaltation patriotique. Déjà , le 2 mars 1837, dans une discussion à la Chambre des députés sur un projet de loi établissant des juridictions différentes pour les procès où des militaires seraient impliqués avec d'autres citoyens dans des com- plots contre la sûreté de l'Etat, Lamartine avait poussé un cri d'alarme et signalé le péril de relâcher la discipline et de désarmer la société en face d'un gouvernement qui relevait dans l'admiration des foules les souvenirs napoléoniens : « Dans un pays tout militaire comme la France, s'écriait-il, dans un pays qu'on fascine, qu'on enivre tous les jours de gloire et de louanges au despotisme heureux, qu'on fanatise pour la mé- moire d'un despote glorieusement absous par la guerre seule, dans un pays qui est à si peu de distance du 18 brumaire et du 20 mars 1815, dont il ne doit pas perdre le souvenir... dans un pareil pays, où la liberté est bien plus dans nos désirs que dans nos habitudes, je dis que le despo- tisme du sabre passerait bientôt par la brèche que vous auriez laissée ouverte (16) ». En 1840, le danger s'était accru, et Lamartine, qui n'hésitait pas à se compromettre quand le devoir était en jeu, mit vigoureusement en relief, dans la séance du 26 mai, les dangers de cette apothéose de Napo- léon : « Je ne me prosterne pas devant cette mémoire, disait-il ; je ne suis pas de cette religion napoléonienne, de ce culte de la force que l'on veut depuis quelque temps substituer dans l'esprit de la nation à la religion