Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                                  — 222 —
la supposition ne rencontrerait que des sceptiques ; ses instances passion-
nées ne se ralentirent pas, il ne baissa pas de ton ; une raideur intraitable,
des réponses et des intimidations arrogantes, une intelligence butée contre
les prévisions les mieux, déduites et les plus aveuglantes, malgré les prières
et les larmes du Souverain Pontife, accumuleront sur le Saint-Siège les
déconvenues les plus dures, de scandaleux affronts et une rupture qui
faillit troubler la paix générale de l'Europe, le tout pour finir sur un
dénouement où un peu de grotesque rejaillit sur le coryphée, dérida les
acteurs et glissa un filet d'ironie dans la conclusion de l'histoire.
       Dès que le bruit de la détention se répandit, l'émotion et le blâme
éclatèrent sans retenue au sein de la colonie étrangère ; les groupes
russophiles, plus sensibles que les autres à l'inattendu, manifestèrent avec
emportement leur surprise et leur indignation ; ils ne comprenaient pas
cette abdication de l'autorité suprême, devant les exigences d'une puis-
sance si redoutée qu'elle soit ; ils qualifiaient cet acte de lâcheté et le
taxaient d'attentat intolérable, non seulement contre la liberté individuelle,
mais encore contre le droit des gens, ils ressentaient amèrement l'offense
qui atteignait leur mystique despote dans ses prérogatives et sa majesté.
Au cours d'un dîner de brillant apparat, à l'ambassade d'Autriche, offert
à l'occasion du renouvellement de l'année, les conversations n'eurent à
peu près pour unique objet que ce récent événement ; chacun des convives
apporta son mot, excita ses voisins, se répandit en malédictions, enveloppa
la France et la papauté dans un mépris égal, développa dix raisons et
vingt-cinq moyens de tirer une vengeance inexorable et prompte de cet
affront grossier. Le ministre, M. Kehvenhuller, ou par complicité de
vues, ou par une politesse familière à un hôte stylé, repoussa, si elle
s'offrit, la tentation de verser quelques seaux d'eau froide dans cette
température surchauffée; ouvertement même, il s'engagea à sonder son
maître et à requérir son intervention. A la fin du repas, devant les coupes
de Champagne vidées, les cerveaux échauffés, les convives jurèrent en
chœur d'abandonner la ville, si satisfaction leur était refusée ; mais aupara-
vant, et sur le champ, ils décidèrent de se rendre auprès du comte de
Cassini, lui signifier leurs doléances ; le prince Meklembourg-Schwerin,
mari de la sœur d'Alexandre I er , prit la tête de la députation ; seule, la