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princesse Galitzin demeura à l'écart ; mais deux autres dames de la société,
la comtesse Pritassof et la femme d'un sénateur, loin d'imiter cette réserve,
tinrent à porter plus loin leur offensive bravade. Elles avaient obtenu,
pour le 6 nivôse, la faveur d'une audience particulière de Sa Sainteté ;
elles ne s'y rendirent pas, s'excusant sur le mauvais état de leur santé,
pendant qu'elles affectèrent de se montrer dans les allées du Pincio avec
un teint frais, la plus solide allure et de jolies toilettes.
      Dans ces conjectures, le cardinal Caraffa rendit une longue visite au
plénipotentiaire, si troublé par ses compatriotes et tremblant sous les
invectives dont ils l'avaient abreuvé. Les deux interlocuteurs convinrent
que toute solution serait ajournée et que les choses resteraient en l'état
jusqu'à la réponse du cabinet de Saint-Pétersbourg.
      Dix jours après, aucun départ ne s'était opéré, l'effervescence était
en décroissance chez les amis du séquestré. Mais l'inquiétude, les regrets,
l'affolement persistèrent plus longtemps parmi les résidents français,
ayant refusé l'amnistie offerte aux émigrés, toujours fidèles au régime
écroulé, toujours en expectative d'une restauration monarchique. L'exil
n'est pas une bonne école pour l'âme humaine. La patience s'enracine
peut-être dans les privations et dans la lutte, mais la rectitude du jugement,
la droiture même et la délicatesse de la conscience succombent sous le
poids de mesquins préjugés, qu'on décore du nom de principes et de
prophéties sacrées.
      La partie de l'aristocratie qui, sur l'exemple des deux frères du roi
et de ses tantes, après 1789 et les Etats généraux, avait quitté Versailles
et ses châteaux de province, qui avait vu s'ouvrir devant elle, avec sym-
pathie, les antiques demeures ou les auberges de la cité papale, ne cessait
de nourrir contre la Révolution, ses crimes, ses conquêtes, ses institutions
et son anarchie, une antipathie combative, mélange de terreur à l'égard
des bourreaux et de pitié pour les victimes. Mais si respectables que ces
sentiments aient été par leurs motifs et la fidélité qui les dictaient, il
n'est guère douteux que les partisans de la dynastie déchue s'entraînèrent
eux-mêmes à dépasser les bornes du juste et du vrai. On n'effacera pas
les échos de leur attitude hostile, pendant la négociation du Concordat,
ni la façon très plébéienne dont ils enveloppaient dans le même dédain