Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                                 — 105 —
prendre un peu tard. Il est vrai que les diplomates ne pensent pas à tout,
ils ne pensent même pas à se renseigner avant de trancher les questions.
Et le plus fort c'est qu'ils l'avouent. Il y aura donc peut-être une enquête.
Mais, au fond, cette enquête est-elle bien utile ? Ne peut-on pas d'avance
en indiquer les résultats? Ne sait-on pas déjà qu'en Thrace comme en
Asie Mineure il y a des populations mélangées : en Thrace, il y a des
Bulgares, des Grecs et des Turcs, avec quelques Israélites ; en Asie
Mineure, il y a des Turcs, des Grecs, des Arméniens. Va-t-on se perdre
dans le dédale des statistiques pour établir la force relative de chacun de
ces éléments ethniques? On sait ce que sont les statistiques orientales,
toutes sont faites de parti pris et remaniées savamment de manière à
arriver au résultat politique qu'on se propose en les établissant.
      D'abord quel intérêt y a-t-il à savoir si telle ou telle portion de la
population a la majorité? Ces majorités toujours contestées, variables,
changeantes suivant les besoins de la cause ne constituent pas un principe
sur lequel on puisse appuyer une politique de sagesse et d'apaisement.
J'admets pour un moment qu'il soit prouvé par exemple que dans le
vilayet d'Aïdin il y ait une légère majorité de l'élément grec sur l'élément
turc et qu'on en argue pour attribuer le vilayet à la Grèce. Réfléchit-on
au sort de la très grosse minorité turque qui va du coup passer sous la
loi des Grecs ? Il y avait, dit-on à Athènes, sous le régime de jadis, des
Grecs irrédimés, il y aura dès lors des Turcs irrédimés. On ne voit pas
ce que la paix orientale aura gagné à ce changement.
      La vérité est que, d'une part, rien n'est difficile comme de dégager
en Orient une majorité ethnique et que d'ailleurs ce qui devrait retenir
l'attention c'est moins les revendications des prétendues majorités que
les garanties à donner aux minorités.
      Le principe des nationalités est en Orient inapplicable, tellement
elles se pénètrent et s'enchevêtrent jusque dans la moindre agglomération
et le moindre village. Il est inutile de songer à dégager dans ces conditions
une de ces solutions simples et pour ainsi dire rectilignes où se plaisent
les théoriciens politiques. Le vrai est qu'il y a depuis des siècles de la
souffrance en Orient et qu'il n'y aura de paix que quand cette souffrance
aura disparu ou du moins aura été notablement diminuée.