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valeurs. Mais à la catastrophe financière venait s'ajouter un autre désastre
plus grave encore, la peste de Marseille qui, dès les premiers mois de
 1720, ferma tous les ports étrangers à nos vaisseaux.
      Le financier avait sombré dans la tourmente, mais son œuvre colo-
niale devait demeurer longtemps féconde. Il avait donné à la gigantesque
machine qu'avaient conçue Richelieu et Colbert une impulsion nouvelle
qui devait se prolonger pendant tout le xvme siècle. Certains historiens mal
renseignés se sont plus, les uns à le présenter comme un théoricien perdu
dans son rêve, les autres comme un spéculateur malhonnête ; ils se sont
trompés les uns et les autres, car si Law avait une imagination très vive,
tous ses contemporains sont unanimes à reconnaître la suite dans ses
idées, et la sûreté de son jugement. D'autre part s'il avait été malhonnête
il aurait agi autrement du point de vue de sa fortune personnelle. Lorsque
le Régent adopta son système, Law mit dans l'affaire la totalité de sa
fortune qui se montait à plusieurs millions (1), or quand il quitta la France
il n'emporta que quelques louis et pierres précieuses de peu de valeur,
et nul n'ignore sa fin misérable à Venise quelques années après. Jamais, à
l'apogée même du succès, il ne songea à faire passer des fonds à l'étranger
ou à en confier à des tiers, il eut confiance en soi jusqu'au dernier moment
et ne voulut jamais que l'on pût lui faire un grief d'avoir placé ses intérêts
avant ceux mêmes du pays.
      Le seul reproche que l'on puisse lui faire c'est d'avoir été surtout
un joueur ; il l'avait été passionnément pendant sa jeunesse, il le fut quand
il connut le Régent, il le demeura tant qu'il fut au pouvoir. En gérant les
affaires de la France, il restait celui qui tenait la banque au Pharaon de
la Duclos, et sa hâte fiévreuse est bien celle du joueur qui risque le tout
pour le tout, et c'est bien à cette folie de la rapidité qu'il faut imputer
l'effrondement du système. Une méthode plus sage et plus lente qui, à
côté de la Banque d'Etat eut créé, une à une, des compagnies indépen-
dantes, pour les absorber ensuite, leur solidité une fois éprouvée, eut
sans doute donné des résultats plus sûrs et plus durables. Il n'est pas seul
à supporter le poids de cette responsabilité devant l'histoire ; son maître

   (1) 3.300.000 livres. V. Mémoires justificatifs de Law, dans Œuvres, loc. cit., p. 431.