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                    CHRONIQUE LOCALE.
    Les morts vont vite, et les souvenirs aussi. Qui se rappelle
 encore l'assassin de Couzon et l'exécution qui, le mois dernier,
 mit en émoi la population de la ville ? Qui se souvient, à part les
 intéressés, du vaste incendie de la Manutention ? Qui gémit en-
 core de la neige et se met en souci des inondations ? Depuis
 lors, nous avons pensé à bien d'autres choses.
    Dans les hautes sphères, il n'est plus question des arbres du
 Luxembourg ; on s'occupe de la forteresse -, on use beaucoup
 d'encre à ce propos.
    L'Exposition universelle fait fureur. On se précipite, on enva-
 hit Paris, on y va même de la Chine et pour satisfaire à ce be-
 soin d'expension, les chemins de fer parlent sérieusement de
 nous offrir des trains de plaisir à prix réduit. Vingt francs, aller
 et retour; on ne dit pas si on sera nourri. Dans tous les cas,
 vu la grève des tailleurs, on ne sera pas habilié.
    Pour les déshérités qui restent chez eux, le Monde illustré
 prépare des -montagnes de bois et de dessins. C'est comme si
 on avait vu.
    Hier, ce n'est pas vieux, passait un prince, le prince Char-
 mant, dit-on. Comme dans les contes de fées, il était suivi d'un
 ministre, d'un précepteur et de vingt-quatre officiers. Il séduisait
 par sa grâce, charmait par son esprit, étonnait par ses réparties.
 Chez nous, oo s'étonne toujours un peu quand les étrangers ne
 sont pas d'énormes bûches, or, celui- ci était aussi étranger que
 possible, il venait du Japon. Et où allait ainsi Son Altesse impé-
 riale le prince Tougounkawa Mimboutaïo, le propre frère du
Taïkoun? Mais, si les fleuves vont à l'Océan, lui, comme le
 monde entier, se rendait à l'Exposition. Peut-on aller ailleurs?
 Ce voyage, qui eût fait crier au miracle il y a vingt ans, nous a
 fait penser que l'idée mise en avant par un journal de créer une
 chaire de chinois dans notre ville, n'était pas aussi chinoise
 qu'elle en avait l'air, car enfin, nos relations se nouent chaque
jour davantage avec le pays de la soie, et qui peut se vanter,
Suez percé, de ne boire jamais les eaux du fleuve Jaune ?
    L'attraction du moment entraîne fatalement tous les esprits.
Pour répondre au besoin général, M. Gaspard Bellin fait tous
les mercredis, à 7 heures, au Palais des Arts, des conférences au '
sujet de l'Exposition universelle. C'est -une préparation pour
ceux qui veulent se rendre au Champ de Mars.
    Un autre savant, comprenant aussi son époque, a fait, le 14 de
ce mois, toute une conférence sur la poésie de l'économie politi-
que. C'était fort. Plus fort encore a été notre cher poète Soulary,
qui, lui, a su mettre de la poésie jusque dans un signalement.
Les gendarmes n'ont qu'à se bien tenir. Voici le portrait qu'il a
tracé de lui-même et qu'il a envoyé à un ami :
                       Signalement du prévenu:
             Taille haute. Age, cinquante ans
             Né dans Lyon. Visage ovale.