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316 UNE AVENTURE quelque excellente que soitla mémoire d'un auteur, qu'elle puisse lui rappeler bien exactement toutes les paroles qui ont été pro- noncées, tous les gestes qui ont été échangés, toutes les moin- dres circonstances d'un événement, quelque intéressant qu'il soit du reste. BOUFFLERS. L'esprit est oublieux, il est vrai, mais le cœur ne l'est pris et cette scène charmante est restée gravée dans le mien en caractères ineffaçables. LA COMTESSE (à part). Je crois vraiment qu'il a fini par se per- suader à lui-même de la vérité de son récit. (Haut.) Mais, si cette jeune fille était elle-même ici, devant vous, à ma place, et qu'elle vous dît : « Monsieur le chevalier, vous êtes mille fois trop « aimable et trop galant d'avoir consacré de si gracieuses pages « à la pauvre Aline qui ne mérite en rien un pareil honneur. » BOUFFLERS. Elle le mérite, madame; la beauté, la grâce, l'in- nocence réunies ont droit à l'immortalité. LA COMTESSE. Et grâce à vous elles l'obtiendront, chevalier, gardez-vous d'en douter. [A part.) Quel fat ! (Haut et s'animanl de plus en plus.) Mais enfin Aline est modeste et devrait parler ainsi. Elle ajouterait : « Tant de gloire ne saurait m'éblouir au « point de m'empêcher de voir toutes les inexactitudes. (Mouve- « ment de Boufflers.) Oui, inexactitudes, dont est émaillé votre ré- « cit. Etes-vous bien sûr, monsieur, de m'avoir embrassée ? » (Mouvement de Boufflers.) C'est toujours Aline qui parle : « Et « dans ce qui suit, chevalier, est-il bien possible que vous, si « délicat, si pointilleux sur le point d'honneur, vous n'ayez pas « hésité à sacrifier brutalement celui d'une pauvre fille qui ne « vous avait rien fait que de vous sourire et de vous paraître « jolie ? » BOUFFLERS. Mais, madame... LA COMTESSE. Convenez que les choses ne se sont point passées comme vous le dites. BOUFFLERS. Je vous jure... LA COMTESSE (fâchée). Ah! c'est mal de jurer, et si Aline était ici elle pourrait bien vous punir de votre obstination. BOUFFLERS. Expliquez-vous.