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6                          POÉSIE,

Comme tant de mortels semblables à moi-même,
L'on m'a donné ce bien qu'on appelle suprême.
Le jour, mot ironique et railleur, aborré,
Par mon cœur aujourd'hui ne peut être adoré.
Comme tous, j'ai passé l'aube de ma jeunesse
Sans plaisir, sans ennui, sans joie et sans tristesse.
J'ai goûté jusqu'ici de ce que goûte un cœur,
Je ne me souviens pas d'avoir vu le bonheur ;
Vierge du désespoir, ainsi que d'espérance,
Ce temps fut un sommeil et non pas une enfance,
Et comme les ruisseaux qui grossissent sans bruit,
L'aurore de mes jours en fut plutôt la nuit.

Puis un soir, ma jalouse et sombre destinée,
Fit aumône à mon front de sa vingtième année ;
Vingt ans! c'était bien l'âge où du cœur et des sens
Vers un monde inconnu s'exhalent les accents;
C'était l'âge où ma main en essayant la lyre
Cherchait pour s'inspirer les souffles du zéphyre,
C'était l'âge où le cœur, privé de la raison,
N'adore bien souvent qu'un regard ou qu'un nom ;
Et moi, timide enfant, je voulais pour ma vie
Un peu de ce bonheur qui me faisait envie ;
Je voulais, tout heureux de ma voix de printemps,
Commencer le duo que l'on chante à vingt ans,
J'ai fait ce qu'on peut faire et dit ce qu'on peut dire ;
Les regards enflammés, les accents de la lyre,
Rien ne m'a réussi; sévère jusqu'au bout,
On refusait un peu, lorsque moi j'offrais tout;
Car, au prix de l'audace et de la flatterie,
Ce qui remplit un cœur et fait aimer la vie,
Ce qui peut apporter le bonheur ici-bas,
Le vendre, on le pourrait, mais le donner, non pas.