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83 la dépouille si injustement, et elle y trouve, entre autres clauses : que les nouveaux entrepreneurs assurent à L*** dix- huit mille livres par année, pendant leur exploitation, avec la petite douceur en sus, d'un pot de vin considérable, et tel qu'on le peut présenter à un chef de bureau, dont il faut avant tout ménager l'honnête susceptibilité. Ainsi nantie, Mme Lobreau prend une chaise de poste ; arrivé à Versailles? voit M. de Yilleroi, qui fort heureusement pour elle faisait en ce moment son service de capitaine des gardes. Elle demande à être présentée à la jeune reine ; on le lui ac- corde : un placet clair et précis s appuyé des pièces justifica- tives , ne laisse aucun doute ; le lendemain , Louis XVI est instruit. Déjà un peu prévenu contre M. Turgot, pour je ne sais plus quelle tracasserie d'intérieur de palais, le roi fait venir ce ministre. —Votre chef des bureaux L*** est un fripon, dit-il, il abuse de votre nom pour dépouiller des gens honnêtes et vendre les places à son profit. Faites-lui restituer ce qu'il a reçu pour la direction du spectacle de Lyon ; l'ancienne directrice sera remise dans ses droits , et vous chasserez cet homme. La réprimande était aussi austère qu'inattendue ; M. Tur- got, étonné, ne sachant ce que c'était que cette affaire, ré- pondit qu'il allait s'en informer, et que , si son commis était coupable, ainsi qu'on l'avait rapporté à S. M., il réclamerait contre lui la punition la plus sévère. Je voudrais voir examiner une fois, si dans le jeu de ces grands rouages, qu'on appelle machine politique, il faut qu'un ministre soit en tout point irréprochable. Un fripon con- verti ne comprendrait-il pas mieux les hommes ? Il en aurait au moins l'expérience. L'homme de bien ne voit que des mas- ques sa vie durant. Le. minis tre que je propose dirait bien vite : Je te connais. En attendant cette heureuse innovation ( qu'on n'adoptera jamais sans doute), les ministres de bonne foi sont dupes f et M. Turgot le fut cette fois-ci complètement.