page suivante »
82 je dois la plus grande reconnaissance, car ils ne m'ont pas gâté. Mme Lobreau était en bien des points le parfait contraste de mademoiselle Montansier : juste, habile, exacte, femme de cœur, femme sévère, un homme en jupon pour la conduite (je ne parle que de la conduite des affaires), c'était un vérita- ble monarque, mais il n'y avait point à s'en plaindre, elle te- nait le sceptre d'une main ferme autant qu'habile : sous son règne le théâtre de Lyon pouvait rivaliser de magnificence et d'éclat avec les plus brillants de la capitale. Aussi, sa passion dominante était-elle le commandement. Nous l'appelions notre fée Urgelle; aucune femme n e met- tant mieux en pratique l'axiome connu : gouverner, avoir l'empire. L'anecdote suivante prouve quelle énergie elle dé- ployait pour se maintenir au pouvoir. J'avertis seulement que je me mets en avance de quelques années. On a beaucoup écrit pour et contre M. Turgot ; il fut homme de bien , je crois cela avec tout le monde ; il fut grand minis- tre , je l'ignore, c'est à de plus habile que moi à décider la question ; mais ce que je sais , c'est que pour élever un pié- destal, il n'est rien comme la disgrâce. Ceci sort dit sans qu'on me l'impute à mal ; car de quelque côté que penche la ba- lance , je ne me donnerai pas le ridicule d'y mettre mon grain de sable pour peser dessus ; il n'en fut pas ainsi de Mme Lo- breau. Quelques particuliers de Lyon , jaloux de la prospérité de cette directrice , et voulant se mettre à sa place, ourdirent une intrigue avec le sieur L***, chef de bureau au contrôle gé- néral. On lui enleva d'autorité le privilège qu'elle tenait du duc de Villeroi, gouverneur de la province; c'était un abus criant, et en tout point uue chose contraire au bon droit. Au coup qui la frappe, Me Lobreau ne perd pas là tête ; persévé- rante , active, adroite et semant l'or, elle est bientôt au cou- rant. Le mystère de cette manœuvre lui est dévoilé ; on lui donne le moyen d'avoir une expédition en règle du traité qui