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monde le plus simple: je ne sais pas respirer une fleur sans
lui donner un baiser; et en disant ces mots, elle lui lança en
dessous un de ces regards insidieux qui fouillent jusqu'au
fond des cœurs les plus dissimulés; et elle posa négligeai,
ment le bouquet sur le livre ouvert auprès d'elle. Paul le
prit, et saisissant le moment ou il crut n'être pas vu il le
porta à ses lèvres avec cette solennité de mouvement qu'on
met à accomplir un acte de religion ou de respect. L'oeil in-
quisiteur de Marguerite avait suivi ce mouvement. Je suis ja-
louse même de mes fleurs, lui dit-elle, je veux en jouir seule;
puis elle partagea le bouquet avec toutes ces petites recher-
 ches de poses et de gestes, dont les femmes se font une se-
conde nature. — Tenez , voilà la moitié de mon bouquet,
 et c'est une faveur dont vous pouvez être fier, car, j'ai pour
mes fleurs l'affection la plus égoïste. Paul le reçut ; mais d'un
 air si contraint, le regardant si tristement que Marguerite
 ne put s'empêcher de lui dire à voix basse : — Qu'avez-vous?
 —Je suis bien malheureux, voila tout! •—Vous prenez un
 singulier moment pour vous plaindre , quand je vous honore
 de mes dons.... —Oh! vous ne m'avez donné vos fleurs que
 pour m'empêcher de jouir du bonheur de respirer le même
 parfum que vous, dit-il d'une voix étouffée.—Ah! si vous
 croyez cela, je dois vous désabuser; — et de l'air le plus gra.
 cieusement coquet, elle lui tendit la moitié du bouquet qu'elle
 s'était réservée et reprit en échange celui qu'elle lui avait
 donné.
   Il se fit alors une telle révolution dans tout l'être de l'heii.
reux Paul que tout autre qu'une femme en aurait eu pitié.
Tremblant, pâle, ses grands yeux bleus pleins de larmes, il
8 errait convulsivement ces fleurs dans lesquelles il croyait
voir l'expression d'un sentiment compris, sinon partagé.
   Le reste du voyage se fit sans qu'il put dire un mot. Au
milieu du secret enchantement de son cœur, il aurait craint de
gâter tout son bonheur en ajoutant une sensation à la déli-
 cieuse extase qui l'enivrait de son charme.