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                    LE DOMPTEUR DE CHATS                            461
rieux à travers ces grilles délabrées. De pauvres vieux lions, au
dos pelé, à la crinière en broussailles, les yeux ternes, les dents
élimées, les griffes usées à traîner sans cesse sur le sapin humide
et puant. Des lions maigres, énervés, sans force, à peine capables
d'éventrer un garçonnet, dévorant sans joie des viandes souillées,
et rugissant comme un mouton bêle, seulement pour faire voir
qu'ils avaient autrefois été très féroces.
   Autrefois !... Quand une fournaise de rayons pleuvait sur le
sable rougi à blanc du désert, quand la faim aiguisait ces crocs
jaunis, quand les vaillants fauves s'enlevaient par bonds gigantes-
ques, flairant l'ennemi derrière les nopals poussiéreux ; quand
leurs nobles flancs résonnaient sous les coups de leur queue puis-
sante, à l'heure douce où l'ombre faisant jaillir de l'azur les étoiles,
des tribus de carnassiers vont se désaltérer à la source des oasis,
fraîche et limpide, sous son dais de palmiers.
    Ces lions découronnés, petit Régis les vit avec une indicible
 allégresse. Il les salua de ;noms belliqueux; il les flatta; il eu
voulu les caresser, passer sa main petite et blanche dans leurs
poils rudes et emmêlés. Il leur adressa le confiant sourire de l'en-
fant qui n'a peur que de l'inconnu. Il leur envoya des baisers ;
mais eux, les cruels, sans remuer, immobiles dans leur attitude de
sphinx, laissèrent tomber sur lui, méprisants, le regard calme,
placide, horriblement dédaigneux, du bourreau qui, bravé, fait
grâce.
    Alors vint un bohémien qui les dompta. Il n'eut point de cou-
rage. Abusant de sa force d'homme libre et quasi civilisé, il les
roua de coups de barre, leur asséna des chiquenaudes sur le nez,
leur tira les moustaches, s'assit impudemment sur leurs flancs,
ouvrit leur gueule et leur prodigua les outrages. Eux se laissaient
faire, majestueusement, sans ressouvenir des ripailles passées, où
la chair de musulman criaient sous leur mâchoire, où d'un seul
coup de griffe ils déchiraient l'insolent, aventuré à les chasser sur
leur domaine. Ils n'étaient plus lions maintenant, mais bêtes de
parade, saltimbanques, avilis, à jamais déshonorés!
    Telle qu'elle fût, honteuse, pénible, barbare, presque ridicule,
cette scène fit une impression profonde sur l'apprenti saltimbanque.
Il en rêva. Il se vit, domptant par la seule force de sa volonté,