Revue lyonnaise » n°8 ( 1884 ) » pp.458

 458                   LA REVUE LYONNAISE
  tant de talents qu'il y a de vigiles dans le calendrier, soufflant
  dans la flûte, raclant du violon, grattant la guitare, acrobate,
  équilibriste, prestidigitateur, ventriloque, en un mot une bête à
  toutes fins.
     Les seules créatures intelligentes qui vécussent auprès de Lan-
 gatroubéou n'appartenaient pas à la triste race humaine si déchue :
  son molosse, Tom, le lévrier Star, le chimpanzé Brididi, le perro-
 quet Fanuche, les chats Boulo et Gris-Gris avaient de longs collo-
 ques, spirituels et divertissants, aux nuits fériées où il est permis
 aux animaux de parler, comme dans la veillée de Noël.
     Certes, les pauvres ne rivalisaient point avec Pic de la Miran-
 dole ! Tout au moins, ils ne calomniaient pas leur prochain et ne
 blasphémaient pas leur Créateur. Et quand ils se gaudissaient,
 honnêtement et sans malice, ils n'offensaient ni eux-mêmes, ni
 leurs voisins.
    Avec l'aide de sa ménagerie, — on y comprend gens à deux
 pieds et bêtes à quatre pattes, — Langatroubéou gagnait assez
d'argent. Toutefois, il en voulait gagner davantage. 11 enviait ses
rivaux des foires, des vogues et kermesses, actionnaires des
 grandes compagnies, créanciers de Sa Majesté l'Etat, seigneurs
de beaux domaines, et dont les fils porteraient, quelque jour, sur
les épaules, les baraques, voitures, magasins, hangars, munis de
tous ustensiles, mais lesdits transmués en ces velours et ces damas
qui se tissent avec de la laine de paysan.
    Lui aussi voulait s'enrichir, être salué par les banquiers, entasser
des papiers de diverses couleurs dans le tiroir à secret de sa
caisse. Et c'est pour atteindre ce but, la fortune rapide, qu'il
achetait à beaux deniers comptant, le petit Régis, fils de Maclou
et d'Andréanne Thierry.
    Que si vous lui eussiez objecté que pareil trafic est immoral, il
vous aurait judicieusement démontré que la loi ne prohibe le négoce
d'aucune marchandise; qu'un père fainéant et une mère ivrogne ont
le droit absolu de vendre leur progéniture pour se créer des loisirs
et boire à leur fantaisie ; que si d'ailleurs, le petit Régis n'était pas
content, il lui restait la ressource, à sa majorité, et même un peu
vant, de déguerpir.
    Seulement, ce jour-là, où on le vendait pour cent écus —plus