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                              PENSÉES                               .421
   Et les citadins s'écrient: « Dieu, Dieu! que la campagne est
admirable! que je voudrais demeurer à la campagne, que vous êtes
heureux de vivre à la campagne !.. »                             /
   La campagne est admirable, c'est sûr; vous voudriez l'habiter,
c'est possible ; mais qu'il soit si bon d'y vivre, voilà qui est contes-
table.
   La campagne n'est pas toujours fleurie, ni mélodieuse, ni accueil-
lante. Après l'été et l'automne, l'hiver, c'est-à-dire le froid, la
retraite, le silence, le deuil. Les arbres sont chauves et pauvres;
les buissons dépeuplés, bargneux, sinistres; les chemins remplis
d'ignobles fanges; les prairies fanées; les champs nus; le ciel
lugubre; l'air inclément et dur.
   L'unique refuge dorénavant est le foyer, le foyer pétillant de vie,
 de gaieté et de flamme dans les villes ; mesquin, monotone, inerte et
froid à la campagne!..
                                   *


  Un échantillon de la campagne fait bien à la ville ; un échantillon
de la ville fait bien à la campagne.

                                   *


   Grâce, élégance, souplesse, agilité, splendeur, le lézard a tout en
partage, Le crapaud n'est que hideux; mais il a une voix.
   Par une de ces soirées d'automne, soirées mystérieuses et solen-
nelles, qui font que l'homme se tait comme dans une église, vous
êtes-vous promené sur quelque route verte à droite et à gauche,
toute blanche au milieu?
   Et alors vous avez entendu une voix sortir des profondeurs de
l'ombre, grave, sonore, pénétrante, lente et triste comme un san-
glot, plaintive comme un soupir.
   Un poète appelle le crapaud un « petit monstre aux yeux doux»
Cette parole a fait rire. Que n'a-t-il plutôt vanté sa voix! On eût
applaudi peut-être...
   Cette voix liquide tombe goutte à goutte dans le silence obscur
des choses, comme dans le bassin de granit l'eau du rocher ; cette