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LE ROMAN NATURALISTE 259 ce qu'il aura vu. En effet, les hommes, en général, ne se laissent pas voir en entier, il faut les deviner ; et deviner juste c'est préci- sément ce qui caractérise l'observateur sagace, l'analyste profond. Eh bien, grouper les observations multiples et les fondre pour en former un seul caractère, ou creuser plus profond que la surface pour pénétrer dans la nature intime d'un homme, c'est faire à un certain degré œuvre d'imagination. Cette partie du travail litté- raire, cette création se ressentira nécessairement des doctrines de l'auteur sur l'homme et sur les causes de ses actions, que ces doctrines soient le résultat des mêmes observations que le person- nage créé, ou qu'elles leur soient antérieures et aient influé sur la manière de les interpréter. Nous ne nous étonnerons donc pas si nous voyons les person- nages se mouvoir dans l'œuvre de M. Zola sans volonté propre et en se laissant aller purement et simplement à leurs instincts et aux circonstances. Une pareille manière d'agir ou plutôt de se laisser vivre est en effet la seule qui cadre logiquement avec les princi- pes philosophiques et moraux que nous avons examinés plus haut. Puisque le même déterminisme régit la pierre des chemins et le cerveau de l'homme \ l'homme n'est pas plus libre de résister aux forces qui le poussent, que ne l'est la pierre lancée par la main d'un enfant de ne pas décrire une parabole avant de retomber à terre. Aussi, ce dont nous nous étonnerions à bon droit, ce serait de rencontrer dans la foule que le romancier va faire s'agiter devant nous quelque personnage n'obéissant pas servilement à des ins- tincts impérieux et aux entraînements irrésistibles du milieu où il vit. Il y aurait là une exception absolument injustifiable, et nous pourrions en conclure ou que les doctrines déterministes sont faus- ses, ou que ce personnage extraordinaire n'est tiré ni de l'observa- tion, ni de l'expérience et qu'il a été inventé de toutes pièces. En général, les créations de M. Zola sont d'accord avec ses doc- trines, et quand on voit défiler cette longue série de malades, presque de monomanes, on serait tenté de croire qu'en réalité les actions de l'homme sont déterminées par des influences auxquelles il ne saurait résister. Zola. Le roman expérimental.