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172                  LA REVUE LYONNAISE
tune, sans souci de la fortune publique ». Là, les soldats victo-
rieux « écoutent les danseuses des païens, et passent leur temps
dans des festins splendides et superbes, oubliant Dieu ». Ailleurs
« pendant que Dieu flagellait l'armée, certains étaient assez aveu-
gles et endurcis pour ne pas quitter la luxure et la rapine ».
   Luxure et rapine ! ce sont les deux péchés capitaux des Croisés
et Raymond lui-même, du haut de la chaire tonne contre les « vo-
leurs et les adultères ». Il tonne aussi contre cette armée oublieuse
de tous ses devoirs, et qui ne paie plus les aumônes et la dîme : la
dîme du butin qu'elle doit au Seigneur ; et c'était, on le comprend,
une question vitale que cette question d'aumônes et de dîme.
   Gomme tous ses contemporains, le chroniqueur professe une
intolérance absolue à l'égard des païens et des ennemis de Dieu,
mais on comprend que chez lui cette intolérance n'est adoucie par
aucune pitié, La mansuétude, la douceur sont inconnues à sa
nature. Il est naïvement cruel. Ainsi « c'est un spectacle assez
délectable de voir l'aqueduc roulant vers la ville les cadavres des
nobles et du peuple (sarrazin). » « Le comte faisait porter les têtes
des tués (Turcs) par les autres Turcs (prisonniers), spectacle assez
agréable aux soldats. » 11 mêle volontiers Dieu à ses cruautés.
« A Antioche, Gassionus pris par des Arméniens est décapité. On
nous apporte sa tête. Je crois que cela arriva par l'ordre de Dieu,
Gassionus ayant fait décapiter bien des gens. »
   Il raconte avec une bonhomie charmante — charmante, si ce n'é-
tait le sujet — des choses épouvantables et dont les détails san-
glants soulèvent notre répulsion. Le fait suivant, qu'il considère
comme un des meilleurs traits delà vie du comte, lui paraît surtout
digne de mémoire, parce qu'il est inspiré par Dieu, veillant con-
tinuellement à la sûreté de son fidèle serviteur. « Il (le comte) fit
six prisonniers. Pressé par l'ennemi, il arrache les yeux aux uns,
coupe les pieds aux autres, tranche le nez et les mains des
restants, afin de s'enfuir pendant que les ennemis sont en proie
à la terreur inspirée par un tel acte. Dans cette circonstance il est
difficile de rapporter quel fut le courage et quelle fut la prudence
du comte... Ainsi Dieu le voulut. »
   Cette bonhomie naïve devient de l'orgueil quand il a à raconter
des faits extraordinaires établissant manifestement l'intervention