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sarcophage dans la cour d'un avocat, servir de citerne ; & dans beaucoup de vieilles murailles & d'anciennes
maisons, des gravures ou inscriptions que j'aurois voulu examiner, tandis que les marchands qui demeurent
dans ces maisons ne comprennent pas comment des étrangers, préfèrent ces ruines à leurs nouvelles étoffes
de soie ou à leurs broderies. Je crois qu'un antiquaire pourroit trouver ici beaucoup plus d'objets dignes
d'orner les cabinets des curieux, qu'il n'en a peut-être encore découvert jusqu'ici. — La ville passe pour
belle, cependant, je puis assurer qu'une partie en est vraiment affreuse, que les maisons sont entassées en-
semble, chaque étage s'avance en s'élevant sur l'autre, & les rues aussi étroites, aussi sales que celles de Paris,
— mais les environs sont très-beaux, & rien de plus amusant que de sortir de la ville en bateau ; j'ai dessiné
plusieurs points de vue, un pris de la petite isle autrefois nommée l'insula barbara ;— vous vous rappelez une
large tour qui couronne la prison de pierre-en-cise, ses proportions m'ont frappée, & après l'avoir considérée
pendant quelque tems, j'abordai au pied de la prison, & je montai environ cent vingt marches taillées dans le
roc ; les gardes me conduisirent très-honnêtement ; & à ma grande surprise, je trouvai parmi les prisonniers
le                                de qui vous devez vous souvenir, ayant été très-souvent avec. . . . . . . . .
             il me fit mille questions sur J***                                  . & se mit à rire en parlant de
plusieurs parties de plaisirs entre lui &                   mais j'ai ri de mon côté, de ce qu'il prenoit M. ***
pour lord B*** on m'a dit que Pierre-en-cise étoit une prison d'état, mais cela n'est point ; c'est une retraite
momentanée pour les personnes de condition qui font trop de dépenses ; on les envoie ici par lettre-de-
cachet, jusqu'à ce qu'il plaise aux parens qui les ont obtenues de relâcher leurs prisonniers.... il m'a dit
que si jamais il obtient liberté, il retournera en Angleterre, & je crois que dans ce moment, plus que dans
tout autre, l'Angleterre lui paroît un paradis, parce qu'il n'y a rien là qui ressemble aux lettres-de-cachet.
Vous rappelez-vous un beau tableau de Rubens, dans la chapelle des pénitenss' J'ai considéré long-tems ce
chef-d'œuvre avec le plus grand plaisir. N'avez-vous jamais observé que toutes les belles peintures en France
sont gâtées ; excepté celles qui sont entre les mains du clergé ; tous les autres Etats en France n'ayant pas le
loisir de se former le goût. Il faut vous en donner un exemple ridicule. L'an passé, tous les Parisiens qui
vouloient être entièrement à l'Anglaise, avoient pour domestique ce qu'ils appellent un Jakay, un petit
garçon avec des cheveux plats & sans poudre, portant un chapeau rond ; & ces palefreniers en miniature les
servoient à table, & souvent on les voyoit placés au milieu de trois grands laquais, derrière un carrosse doré ;
j'eus beau dire à plusieurs vieux François qu'un Jockey n'est en Angleterre qu'un palefrenier dans une
écurie de chevaux destinés à la course, qu'ils ne nous servent jamais à table, & ne mettent que très-rarement
le pied dans nos appartemens, que nos domestiques sout aussi frisés & poudrés que les François pour nous
servir à table ou monter derrière nos carrosses, ils me répondirent qu'il falloit que ce fût une nouvelle mode,
car c'étoit tout-à-fait à l'Anglaise, & comme on faisoit à Londres. — On m'appelle pour me conduire à la tour
de Fourvière, d'où l'on découvre toute la ville.
                                                                                           Adieu.

                                                                            Lyon, 31 juillet.
     Le coup d'œil dont on jouit du haut de la tour, est tel qu'on me l'avoit promis. Les paysages sont si
variés, les objets si vastes & en si grand nombre, que l'œil cherche envain une place pour se reposer. Je ne
sais pas si vous êtes de mon opinion, mais j'aime que ma vue ainsi que mon esprit s'unissent, pour jouir en
même temps d'un objet agréable ; variez la scène aussi souvent qu'il vous plaira, mais je hais si fort la confu-
sion, que si j'avois à choisir d'une maison située sur une hauteur qui domine une grande ville, d'où l'on
aperçoit tous les circuits d'une rivière, & un immense horizon, ou d'une autre maison, bâtie sur le penchant
de la montagne, avec une vue bornée par un petit jardin, je préférerois cette dernière habitation.
      Je sais qu'un tel goût peut paroître singulier, mais je n'ai jamais pu comprendre le plaisir de ce qu'on
appelle ordinairement une belle vue, où l'on ne peut trouver qu'à l'aide d'un télescope, des objets sensibles
qui reposent vos regards. J'ai loué un bateau pour aller sur le rhône jusqu'à Avignon : ce bateau est composé
de quelques planches clouées ensemble, qui ont servi à amener du bois de la Savoie ; espèce de radeau qui
paroît tout juste assez fort pour me porter moi & ma petite suite. J'envoie mon cheval par le coche d'eau.
— Ne croyez pas que mon amour pour les anciens m'ait fait dédaigner les artistes modernes ; un marchand
de Lyon à qui j'ai acheté des soieries à Londres, m'a montré toutes les nouvelles étoffes & une foule d'échan-
tillons. Un mauvais goût règne universellement dans les habillemens françois : leurs derniers dessins pour
des vestes sont de grands papillons aux aîles étendues. Le marchand lui-même qui me les montroit haussoit
les épaules, que voulez-vous, Madame, il faut toujours du nouveau. Il y a ici un moulin curieux pour dévider
la soie. — Un cheval dans un grenier au quatrième étage, tourne une roue qui met en mouvement celles qui
sont aux autres étages, & celles-ci font tourner plusieurs milliers de fuseaux ou bobines. Tous les anciens
bâtimens sont ici placés sur des rochers, & je ne puis m'empêcher de croire qu'ils ressemblent à des dents
auxquelles les rochers servent de racines. On m'a assuré que la Saône avoit autrefois un autre lit, & que les
Suisses avoient coupé les rocs pour donner à cette rivière son nouveau cours ; mais si jamais elle a été détour-
née, je croirois plutôt que c'est par les Romains, dont les ouvrages aussi grands qu'utiles, portaient l'em-
preinte de leur génie. Les ruines qui attestent leurs immenses travaux dans les environs de cette ville,
peuvent servir d'excuse à ma supposition ; si le successeur de Caligula pouvoir lever la tête hors de son
tombeau, ou Néron qui rétablit cette ville, ils auroient quelque peine à la reconnoître.
                                                                                           Adieu.