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chantent à trois-deux tandis que l'orchestre joue à six-quatre, ou les chœurs à
six-quatre et l'orchestre à quatre temps. Naturellement, le dirigeant ne peut battre
qu'une des deux mesures à la fois ; ceux qui exécutent l'autre se tirent d'affaire
comme ils peuvent. Ces combinaisons permettent, par exemple, de faire chanter
aux voix un Benedicite de grande allure, une sorte de choral à trois temps :
                      Dieu très bon, bénissez la table des ancêtres,
                      Et donnez-nous le pain de chaque jour, ô maître,
et de l'accompagner du scherzo des batteurs au fléau à six-quatre. Les difficultés
d'exécution sont l'affaire des exécutants et ne regardent pas le public, qui ne s'intéresse
qu'au résultat. Or, le résultat, ce sont des moyens d'expression nouveaux et très
puissants. Les thèmes superposés ne sont plus collés ensemble, soudés par toutes
leurs jointures ; ils n'ont plus l'air de faire l'exercice à la prussienne et de marquer
le pas de l'oie. Ils ne forment pas une pâte ; leur indépendance leur conserve toute la
valeur de leur physionomie expressive, et, pour l'auditeur, ils n'en sont que plus fa-
ciles à saisir. Quand on sera un peu familiarisé avec cette musique, chacun convien-
dra qu'il n'y en a pas de plus naturelle ni de plus claire.
      Quelqu'un me demandait dernièrement, avec un peu d'ironie, mon opinion sur
le Poème de la Maison, qu'il n'avait pas entendu : « On dit que c'est de l'algèbre musi-
cale ». Je ne fus pas assez impoli pour répondre que parler d'algèbre musicale, c'est
ignorer ce que c'est que l'algèbre et ce que c'est que la musique. Et quand cela serait i
L'algèbre n'est-elle pas la plus parfaite de toutes les langues inventées par les hommes i
Comme elle est la seule exactement véridique, on peut dire qu'elle réalise l'idéal du
« style naturel ». Et, pour qui sait la lire, elle est aussi, incontestablement, la plus
claire. Mais il n'y a point d'algèbre dans la technique de Witkowski. Sa musique, dans
l'ensemble comme dans les détails, tend uniquement et constamment à une seule fin :
l'expression des émotions.

                                              m
      J'ai longuement développé la première partie du texte de Pascal placé en tête de
cet article, relative au style naturel. J'éprouvais le besoin de faire une apologie. Je ne
m'arrêterai pas à développer l'autre : en des oeuvres comme le Poème de la Maison et
Mon Lac, on trouve un homme, alors même qu'on s'attendait de ne voir qu'un
auteur. D'abord, personne, je crois, ne le conteste. Ensuite, il n'y aurait aucun moyen
de le faire comprendre à qui ne le sentirait pas.
     Les compositions de nos contemporains, merveilles de grâce, de délicatesse et
d'esprit, font souvent l'impression de bibelots d'étagère. Ce sont des camées, des
médailles, des plaquettes, ciselures exquises de matières très précieuses. Le jardinier
de Paladru nous offre autre chose.
     Witkowski suffit, par son étonnante activité, aux multiples besognes de la direc-
tion et de l'administration de cette entreprise considérable : la Société des Grands
Concerts. Bien que l'affection qu'il inspire lui assure les concours les plus dévoués, il
    Rev. Lyon,                                                                      36