page suivante »
— 318 — à ce que le prisonnier arrive à la frontière non seulement sain et sauf, mais encore en état de continuer son voyage ». Les choses se déroulèrent comme les avaient réglées les deux Emi- nences ; HédouviUe se présenta vers les onze heures du soir au château et aussitôt reçu par le commandant du poste, salué par le prélat, premier secrétaire de la guerre, ils se rendirent dans la chambre de l'interné et, avec tous les ménagements possibles, on l'avertit du mandat immédiat qu'on avait de le faire monter sur-le-champ en voiture. Vernègues objecta tout ce qu'il imagina de plus raisonnable et de plus naturel, afin qu'on attendît le jour pour la levée de l'écrou, du moins qu'on lui désignât le lieu de sa future détention. La consigne était invio- lable ; on lui promit seulement d'avoir pour son état le plus grand soin. Après une conversation de trois quarts d'heure, beaucoup plus calmé et maître de lui qu'on n'eut osé l'espérer, il quitta son lit, s'habilla et s'inquié- ta afin que ses bagages soient proprement empaquetés par son domestique ; puis, entouré de ses surveillants, il descendit à la conciergerie et bientôt le trot des chevaux, dans les rues endormies, l'emporta loin de la ville, qui ne s'était pas réveillée. Une des premières étapes s'acheva au bourg de Sigillo, vers midi du lendemain ; dans quelques lignes griffonnées sur son genou durant le stationnement, HédouviUe regrettait, comme le capitaine du peloton, qu'on n'ait peut-être pas eu toute la célérité désirable dans la marche, mais la faiblesse du prisonnier, souffrant d'une irascibilité nerveuse extraordinaire, l'avait empêché. On arriva à Fossombrone, le soleil couchant, sans encombre, après un parcours de cent quatre-vingts milles, soit environ 257 kilomètres ; on avait résolu d'y coucher, se promettant dans la journée suivante de toucher au terme du trajet. Ainsi fut fait et le 14 floréal (4 mai) les gardiens et leur infortuné compagnon mettaient le pied sur la ligne de frontière. L'extradition ne prit que le temps indispen- sable pour vérifier l'identité de l'ex-émigré, qui perdait toute chance d'échapper à ses persécuteurs. Nous n'avons pas pu, malgré nos recher- ches, découvrir dans les cartons du quai d'Orsay le procès-verbal inconti- nent transmis au ministère des Affaires extérieures ; il est plus que probable que la cérémonie, dépourvue de gaieté, se renferma dans la