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progressive prise par le Droit dans la vie du pays, soit qu'ils l'envisagent du point
de vue moral comme une force sentimentale capable de soutenir tous les élans et
tous les sacrifices, soit que, d'un point de vue plus réaliste, ils voient en lui l'armature
la plus solide de notre édifice social, manifestent en faveur des études qui lui sont
consacrées, et désirent qu'elles deviennent plus nombreuses et plus accessibles au
grand public, ces très bons esprits aperçoivent moins nettement l'utilité des
études de droit comparé.
      Et cependant, à aucune autre époque de notre histoire, l'étude du droit comparé
n'a été plus nécessaire, même en demeurant strictement sur le terrain national.
Que l'on réfléchisse,par exemple,aux problèmes juridiques qui sollicitent aujourd'hui
l'attention du Parlement! Tous les phénomènes consécutifs à la guerre, que nous
observons depuis l'armistice, impuissants le plus souvent à les modifier : dépréciation
du papier-monnaie, diminution du crédit public, fléchissement de la production,
accaparement et spéculation, crise de vie chère et crise de chômage, n'exigent-ils
pas une action constante et surtout éclairée du législateur! Qui n'aperçoit, dans le
désarroi actuel, les grandes lignes du régime économique en voie de formation,
caractérisé à la fois par la concentration des capitaux entre les mains de quelques
individus, dont la puissance politique n'hésite plus à se montrer au grand jour,
et par l'action sans cesse plus énergique de groupements corporatifs, qui exercent
sur l'individu un pouvoir de direction et de contrôle, les investissant d'une sorte
de souveraineté ? Et qui ne comprend que ce régime nouveau a besoin de trouver
sa formule juridique, et que la moindre erreur ou la moindre hésitation peut engager
gravement l'avenir? A cet égard, l'étude du droit comparé peut rendre d'inappré-
ciables services, car les problèmes si délicats auxquels nous venons de faire allusion
sont examinés par les juristes, les jurisprudences et les Parlements étrangers, et il
n'est pas trop du concours de tous pour mener à bien une tâche aussi complexe.
     Mais cette étude doit tendre vers un but plus élevé et plus noble. « Je suis plus
que jamais convaincu, écrit M. Lambert, que la mission essentielle du droit comparé
est une mission de pacification économique et d'entente commerciale internationale ;
que sa tâche est de combattre, dans la mesure du possible, la diversité des droits,
qui m'apparaît, en tant qu'elle porte sur leurs chapitres commerciaux, comme un
mal social, comme l'une des forces obscures qui s'opposent à la substitution dans
les rapports internationaux de la paix du droit à la paix armée. Je persiste à croire
que l'étude comparative des systèmes de droit et des cultures juridiques qui se
partagent la communauté internationale, n'est pas seulement destinée à éclairer
par le contraste leurs génies propres, mais a pour but principal de préparer, en les
dénonçant, l'élimination des survivances qui fourmillent dans chacun de ces corps
de droit et qui, en même temps qu'elles entravent l'adaptation de ces corps de droit
aux besoins du temps présent, contribuent à les isoler dans un nationalisme boudeur
et aveugle » (i).

    (i) Voir aussi E. Lambert, la Fonction du droit civil comparé, Paris, 1903.