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— 284 — progressive prise par le Droit dans la vie du pays, soit qu'ils l'envisagent du point de vue moral comme une force sentimentale capable de soutenir tous les élans et tous les sacrifices, soit que, d'un point de vue plus réaliste, ils voient en lui l'armature la plus solide de notre édifice social, manifestent en faveur des études qui lui sont consacrées, et désirent qu'elles deviennent plus nombreuses et plus accessibles au grand public, ces très bons esprits aperçoivent moins nettement l'utilité des études de droit comparé. Et cependant, à aucune autre époque de notre histoire, l'étude du droit comparé n'a été plus nécessaire, même en demeurant strictement sur le terrain national. Que l'on réfléchisse,par exemple,aux problèmes juridiques qui sollicitent aujourd'hui l'attention du Parlement! Tous les phénomènes consécutifs à la guerre, que nous observons depuis l'armistice, impuissants le plus souvent à les modifier : dépréciation du papier-monnaie, diminution du crédit public, fléchissement de la production, accaparement et spéculation, crise de vie chère et crise de chômage, n'exigent-ils pas une action constante et surtout éclairée du législateur! Qui n'aperçoit, dans le désarroi actuel, les grandes lignes du régime économique en voie de formation, caractérisé à la fois par la concentration des capitaux entre les mains de quelques individus, dont la puissance politique n'hésite plus à se montrer au grand jour, et par l'action sans cesse plus énergique de groupements corporatifs, qui exercent sur l'individu un pouvoir de direction et de contrôle, les investissant d'une sorte de souveraineté ? Et qui ne comprend que ce régime nouveau a besoin de trouver sa formule juridique, et que la moindre erreur ou la moindre hésitation peut engager gravement l'avenir? A cet égard, l'étude du droit comparé peut rendre d'inappré- ciables services, car les problèmes si délicats auxquels nous venons de faire allusion sont examinés par les juristes, les jurisprudences et les Parlements étrangers, et il n'est pas trop du concours de tous pour mener à bien une tâche aussi complexe. Mais cette étude doit tendre vers un but plus élevé et plus noble. « Je suis plus que jamais convaincu, écrit M. Lambert, que la mission essentielle du droit comparé est une mission de pacification économique et d'entente commerciale internationale ; que sa tâche est de combattre, dans la mesure du possible, la diversité des droits, qui m'apparaît, en tant qu'elle porte sur leurs chapitres commerciaux, comme un mal social, comme l'une des forces obscures qui s'opposent à la substitution dans les rapports internationaux de la paix du droit à la paix armée. Je persiste à croire que l'étude comparative des systèmes de droit et des cultures juridiques qui se partagent la communauté internationale, n'est pas seulement destinée à éclairer par le contraste leurs génies propres, mais a pour but principal de préparer, en les dénonçant, l'élimination des survivances qui fourmillent dans chacun de ces corps de droit et qui, en même temps qu'elles entravent l'adaptation de ces corps de droit aux besoins du temps présent, contribuent à les isoler dans un nationalisme boudeur et aveugle » (i). (i) Voir aussi E. Lambert, la Fonction du droit civil comparé, Paris, 1903.