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— 244 — Paix, sous la colonne élevée à sa propre gloire. Son regard était inquiet, agité, perplexe ; on eût dit une médaille du Bas-Empire. Son obésité, la pâleur et la lividité de son teint me frappèrent. Il était évident pour moi qu'il se repentait déjà de son évasion de l'île d'Elbe. Il regardait avec anxiété la foule qui s'arrêtait pour le contempler et qui lui donnait à peine un signe de respect. Ce n'était plus le peuple, c'était l'armée dont il cherchait la protection. Il ne se sentait plus empereur, il était à peine général. La liberté avait relevé les têtes depuis 1814. La France voulait compter avec lui » (5). Pour ne pas servir dans les armées de Napoléon, Lamartine se réfugia en Suisse et, après quelques semaines passées dans la famille de Vincy, très attachée aux Bourbons, s'installa dans le petit village de Narnier, au bord du lac de Genève : « Parfois, a-t-il dit, j'écrivais quelques vers aussi mélancoliques que le site, l'heure, l'exil, la solitude et la nuit. Des imprécations contre la tyrannie, des ironies contre la versatilité et l'in- gratitude des peuples qui acclament ceux qui les oppriment, qui aban- donnent ceux qui les délivrent et les respectent, formaient le fond de ces poésies ». I Ces vers sont perdus, mais les sentiments qui les remplissaient se retrouvent dans le poème qu'inspire à Lamartine la mort de Napoléon. « J'étais à Aix, en Savoie, raconte Lamartine. M me de Saint-Fargeau, fille de Lepelletier de Saint-Fargeau, assassiné par Paris le jour de la condamnation de Louis XVI, en expiation de son vote, m'avait invité à dîner chez elle. Je me rendis à son hôtel. J'y trouvai le Maréchal Marmont, il ignorait encore, comme tout le monde, la mort de son compagnon de jeunesse et de son empereur. Un moment après entra M. de Lally- Tollendal. La conversation s'engagea sur des choses indifférentes. On attendit longtemps un quatrième convive, c'était le duc Dalberg, ambas- sadeur à Turin. Comme il n'arrivait pas, on se mit à table. L'entretien était serein, gai, très intéressant pour moi, jeune homme obscur, assis