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MON -AMI.GABRIEL 473 V Mais combien d'impressions diverses la promenade aux Muletiers avaient produites dans l'âme si neuve et si sen- sible de mon ami Gabriel ! Cette seule journée lui avait révélé une vie nouvelle avec ses charmes et aussi avec toutes ses amertumes. Le jeune substitut, si âpre à l'étude, si intrépide dans l'ac- complissement du devoir, avait subi pour la première fois le prestige d'une femme. Ce prestige s'imposait-il à lui par la beauté physique? L'amour avait-il enfin germé dans ce cœur d'élite qui n'avait connu jusqu'alors que le culte d'une mère? Peut-être mais quel que fût le charme, il ne se l'expliquait alors que par la sympathie qu'il éprouvait pour tous ceux qui souffrent sans conso- lation. La distinction de Nelly contribuait à l'intérêt qu'il lui portait. Toutefois, les liens sacrés du mariage étaient, aux yeux de Gabriel, un abîme creusé pour tou- jours entre elle et lui ; et, après les événements de la journée, son âme droite et compatissante ne ressentait qu'une vive et douloureuse sollicitude pour cette pre- mière amie, qui serait peut-être morte le lendemain. Accoudé à sa fenêtre ouverte, Gabriel était en proie à mille pensées tristes ou mélancoliques. Le sommeil ne le sollicitait pas au repos. Son regard contemplait vague- ment les derniers éclairs qui s'éteignaient au couchant et les métamorphoses sans fin des nuages laiteux passant et repassant dans l'azur du ciel. Les longues heures de la nuit s'écoulèrent au milieu d'un silence solennel.qui en- courageait les méditations du jeune homme. Jamais pluie d'orage n'avait développé autant de suaves parfums ; jamais le souffle de la nuit n'avait été aussi tiède ei>ansei caressant.