page suivante »
S2 CAILHAVA figures ouvertes, pleines, franches et loyales de nos pères. Ces chansons pleines de verve, ces réunions joyeuses, ne sont plus de mise aujourd'hui. On dîne pour dîner; on mange gravement, on apprécie les vins, puis on fume, mais on ne cause plus. Les fusées de l'esprit gaulois sont éteintes et les éclats de fou rire sont interdits au dessert. Ils n'existent plus non plus, ces convives aimables, dont les noms viennent de tomber de ma plume : Cailhava, Bonnefond, Trimollet, Genod, Perrin, Boitel! Pas un n'a survécu. Leurs œuvres, il est vrai, nous sont restées comme des modèles, mais, eux-mêmes, ils n'ont pas eu de successeurs. Visitez la maison hospitalière de Cailhava : elle aussi a perdu sa verve et son entrain. La célèbre mai- son Grise des Thierry et des Cailhava, est devenue maison de santé. Nous pensons qu'on y parle bas et qu'on s'y promène avec dignité. Ses murs discrets, ses grands arbres, ses allées, ses échos ne vous répètent plus désor- mais les chansons de Trimollet, Genod, Morel, ni les spi- rituelles causeries, les bruyants propos, ou les joyeux , discours des temps passés. D'où vient donc que cette gaîté soit morte? D'où vient que les esprits sont aujourd'hui montés à un cran où on ne rit plus, où la plaisanterie n'ose éclore, où la conver- sation n'existe plus qu'entre femmes, les hommes faisant à peu près défaut dans les salons ? C'est que le monde est las, usé, blasé, largement rassasié et que la politique brûlante, après l'avoir absorbé, détourné de la famille, de la pensée, de l'étude sérieuse et du travail, a brisé tous ses ressorts, tué son imagination, desséché son cœur et l'a laissé sur le sol, dans le même état que les buveurs d'opium de la Chine. Cailhava, tout ami, du plaisir qu'il fût, avait trop d'intelligence pour se livrer pieds et poings liés à ses fai-