page suivante »
MON AMI GABRIEL 463 fin et spirituel; sans être très-régulier, et ses mains délicates excitaient l'admiration de toutes les person- nes qui la voyaient. Mais, pour Gabriel, ce qui lui rendit l'inconnue particulièrement sympathique, ce fut son air de mélancolie et de souffrance, que le public ne remarquait pas. Le malheur, pensait-il en la voyant marcher lentement et sans but, a déjà ravagé cette âme et amaigri ce beau visage Et il se surprenait à che- miner sur ses traces. Gabriel n'avait rien perdu de cette admirable fraîcheur de sentiments qui donne tant de charmes à la jeunesse et qui reste le privilège des âmes supérieures. Eclairé par le souvenir vivace de l'affection maternelle, il avait consacré les puissances actives de son être à un travail infatigable et aux luttes d'une vie excessive ; l'âme et le corps s'étaient aguerris, mais le cœur restait jeune et impressionnable. Chaque soir, à la nuit tombante, un orchestre à la solde de la société des Bains donnait son concert sous un gracieux pavillon élevé au milieu des arbres. Le public se groupait autour des musiciens ou s'asseyait à l'écart au bord des pelouses. C'était l'heure la plus agréable de la journée et chacun venait en cet endroit lespirer l'air tfrais du soir après les longues excur- sions et la grande chaleur. Gabriel y apprit le nom de l'inconnue ; il sut en même temps beauconp d'autres choses sur cette femme. On. lui dit qu'elle était alsacienne et qu'à l'âge de. dix- huit ans on l'avait mariée, contre son gré, à un riche banquier d'origine allemande, homme brutal et grossier, dont elle vivait séparée depuis un an; les chagrins avaient altéré sa santé : elle était phthisique. Enfin, la femme du baron Heuffzel, en horreur de son indigne