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296                       MADELEINE

après-midi, vers la fin du mois d'avril, il aperçut un
petit bouquet de violettes placé dans un verre, sur le
bord d'une des croisées.
   La vue de ces fleurs, dans un pareil lieu, lui serra le
cœur. Ne disaient-elles pas : « Il y a ici quelqu'un qui
vit en regrettant l'air, le soleil, le bonheur ; quelqu'un
qui sent tout ce qui lui manque ; quelqu'un de si dépourvu
de toute jouissance, que je suis une joie au milieu de ses
douleurs, moi, humble bouquet de violettes ! »
    Il regarda ces fleurs avec compassion, se demandant si
le froid de cette rue né les flétrirait pas bien vite ? il leur
portait intérêt et aurait voulu les conserver h. qui les ai-
mait.
    Le lendemain il revint. Les fleurs étaient toujours à la
même place ; seulement leurs pétales décolorés se recour-
baient déjà sur eux-mêmes. Une chose le frappa : l'une
de ces deux fenêtres, constamment fermées, était entr"ou-
verte.
    Le lendemain, il passa encore. C'était presque une jour-
née d'été : les oiseaux chantaient, les arbres se couvraient
de bourgeons, mille insectes bourdonnaient, tout brillait
au soleil : il y avait de la vie partout.
    Cette fois, la fenêtre était toute grande ouverte. Albert
s'avança discrètement. Une femme travaillait, assise
près de la croisée.
    Elle paraissait jeune encore ; ses traits étaient doux ;
 elle avait l'air malade ou triste ; son teint pâle formait,
avec ses clîeveux d'un noir mat, un constraste qui n'était
pas sans quelque charme. Elle portait une robe brune,
et les violettes qui avaient fleuri deux jours sur la fenêtre
 étaient à moitié cachées dans un pli de son corsage, sans
 doute pour que rien ne fût perdu de leurs derniers par-
 fums.
    Elle leva la tête ; Albert Dupart la salua.