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428 Lefêvre travaillait donc; son petit enfant Jacques l'ai- dait, courant de l'atelier au grenier de sa mère, et du grenier de sa mère à l'atelier; renfonçant de temps en temps en chemin plus d'une grosse larme que lui ar- rachaient et le souvenir de sa sœur morte, et sa mère à l'agonie^, et son père dans le délire de la douleur. Déjà des groupes se formaient dans les ruelles sombres de Lyon ; on pouvait lire en traits profonds sur tous ces visages hagards : misère, misère ! De nombreux piquets de troupes parcouraient les rues. Serizan avait Lien souffert en ce temps-là : car il avait fait son devoir. Déjà donc la ville de l'industrie, de laborieuse et calme, était deve- nue agitée et fiévreuse, était devenue la ville de l'émeute. C'est qu'elle était terrible l'émeute; ce n'était plus celle de Paris, qui a été si bien peinte par Barbier, Qui le long des grands quais où son flot se déroule, Hurle en batlanl les murs comme une femme soûle. Non , à Lyon, en Novembre, c'était l'émeute enrégimen- tée , l'émeute alignée, rangée en bataille, avec chefs, drapeaux et mot d'ordre; et quel chef? l'inflexible déses- poir; et quel drapeau? un morceau de pain noir au bout d'une bayonnette; et quel mot d'ordre? vivre en travail- lant ou mourir en combattant.. A l'aspect de ces bandes qui passaient avec un calme effrayant, plus d'une femme pressa son fils contre son sein ; plus d'un volet se ferma ; plus d'une poitrine palpita de crainte; c'est qu'il n'y avait pas d'issue dans cette route qu'on allait prendre; il n'y en avait que deux : l'anarchie ou la mort. L'heure de la vérité n'était pas sonnée; si peu d'oreilles peuvent l'en-' tendre. Au bruit des pas nombreux qui retentissaient dans la rue,