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38 Lorsqu'il eut fini ce beau panégyrique, mon jeune homme essuya de son blanc foulard les gouttes de sueur que l'en- thousiasme faisait découler de son front; il rétablit une bou- cle de cheveux défrisée, mit en ordre sa cravate et son jabot, puis il me dit : comprenez-vous maintenant ce que c'est que la canne ? Je fus en effet convaincu, et en quittant mon jeune en- thousiaste, j'achetai une canne de quinze sous; je dois l'a- Touer, je m'en suis parfaitement trouvé, et l'histoire des avan- tages que m'a donnés ma modeste canne de quinze sous pour- rait donner l'idée de ceux que doit procurer un jonc des îles. Tout cela m'est revenu, l'autre soir, en mémoire comme j'avais pris et manteau et chapeau, et que je me disposais à commencer mon grand voyage, pauvre voyage de flâneur. Au train dont je m'avance , il paraît encore bien loin de sa fin. J'ignore même s'il se commencera. Le temps était ora- geux, et je cherchais mon parapluie ; mais vainement je fu- retais dans tous les coins, soulevais tous les meubles, je ne le trouvais pas, et ma canne de quinze sous me tombait tou- jours sous la main. C'est alors que, fatigué de l'inutilité de mes recherches, je m'abandonnai aux souvenirs que je viens de redire. Mais enfin, au moment où je ne l'espérais et ne la cherchais plus, j'aperçus près de moi, sous mes yeux, sur ma table, mon sauvage parapluie. C'est ainsi que l'homme s'essouffle à courir bien loin pour atteindre un bonheur qui est sous sa main. Lorsque j'eus pris mon parapluie, je le considérai long-temps avec amour et me pris à rêver de nou- veau. Certes, si mon jeune dandy pouvait avec vérité faire un tel éloge de la canne et en montrer si évidemment la vertu , que n'aurais-je pas à dire du parapluie? Avez-vous un para- pluie? ou plutôt, car en ce monde quel homme assez misé- rable n'a pas un parapluie! savez-vous ce qu'est un para- pluie? avez-vous compté tous ses charmes ? savouré toutes ses voluptés? l'avez-vous suivi dans les divers rôles qu'il est