Revue du Lyonnais » série 1 - n°5 ( 1837 ) » pp.018

                                  18
  docteur imbécile, être emporté à perdre haleine à travers
  des beautés qui restent ignorées, et ne connaître du globe
  que ses villes royales, e t , de ces villes, que les nobles sei-
  gneurs , les grandes dames, les splendides festins et quel-
  ques chefs-d'Å“uvre que l'on admire sur parole ; traverser la
  foule en fuyant, en fermant les yeux , en se bouchant les
  oreilles, pour ne pas voir ses brusques et franches allures,
  pour ne pas entendre ses sublimes trivialités; o u , si l'on
  vit au milieu d'elle, en faire le sujet d'études moqueu-
  ses et superbes; puis simple voyageur, accompagné d'un
  ami qui sache vous comprendre, e t , légèrement vêtu
  d'une blouse qui défie la poussière, la tête protégée par
  un vaste chapeau qui nargue le soleil et l'orage, les reins
  serrés d'une ceinture en cuir noir et luisant, armé d'un
 bâton ferré, sans oublier la gourde rustiquement cerclée
  en fer et pleine d'un grog fortifiant, non plus que le léger
 havresac pour réparer au besoin une simple toilette et se mon-
 trer avec avantage au milieu des jolies étrangères ; être muni
 de crayons, d'un album pour dessiner ou pour écrire, et de
 quelque poète chéri, Anacréon, Horace ou Déranger, pour
 ranimer le cœur lorsque la pensée est à sec. Ainsi préparé,
 partir un malin de printemps, en chantant quelque refrain
 joyeux, et recruter en roule, pour en faire des amis d'un
 jour, un soldat qui raconte longuement ses amours, ses en-
 nuis de caserne ou ses vieilles campagnes, s'il a moustache
 grise; un marchand nomade qui se plaint de la rigueur
 des temps, maudit sa vie errante, soupire après l'opulent
 magasin, et dont on porte la boutique pendant un peu de
 chemin ; un vieux mendiant à barbe blanche et sale, qui dit
 en pleurant son ancienne richesse, ses malheurs, la dureté
des hommes, et que l'on console et enrichit avec quelques
sous ; le soir, venir demander un abri chez le villageois qui
ne refuse jamais , manger de son pain noir et de son blanc
fromage, puis écouter dans la veillée les récit efFrayauls des
grand'meres et les mensonges naïfs de l'aïeul qui fut soldat