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420 qui attend l'ennemi avec une fermeté mêlée de douleur ; chez Serizan le devoir l'emportait sur le sentiment, l'in- telligence sur l'ame ; car le dernier lambeau de l'ordre, il ne le voyait flotter qu'à la hampe du drapeau de l'ar- mée, et il était de ce petit nombre d'hommes à qui il est donné d'avoir conscience de l'avenir, et qui, malgré tou- tes les exigences et les misères du présent, savent sacrifier leurs sympathies sur l'autel d'une déesse inexorable, la nécessité. Aussi souffrait-il; et quand il entendait autour de lui ces railleries à double sens, ces sarcasmes honteux et lâches qui lancent leurs flèches en fuyant, il continuait lentement son chemin à travers toutes ces ronces et ces épines, en se disant : Il est différentes espèces de mar- tyrs. Le martyr du travail, c'est l'ouvrier ; le martyr de la liberté, c'est le révolté qui meurt au coin d'une rue , sur une barricade; le martyr de la charité, c'est là -haut, derrière cette fenêtre grillée, cette jeune sœur d'hôpital; le martyr des rois et le martyr des peuples; mais dans tous ces dévouements , pas un qui n'ait sa récompense dés ici-bas, les larmes de ceux à qui l'on se dévoue ; moi, je suis martyr de l'ordre; et là , dans cette abnéga- tion sainte de toute gloire, on ne recueille que l'ingrati- tude et la haine. Martyr de la révolte, on est presque dieu; c'est le Christ qu'on adore dans les Catacombes ; martyr de la servitude, on est moins que le lépreux ou le paria; puissants et pauvres, tous vous repoussent; on vous mon- tre au doigt; conspué, méprisé, on souffre, on souffre horriblement, car on n'est pas compris, car l'uniforme efface t o u t , la discipline vous ferme la bouche, le de- voir vous dit : tais-toi; et l'on se tait; une autre voix, l'honneur, vous crie de combattre et de mourir; et le martyr de la servitude combat, et il meurt oublié même