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   Parmi ses notes dernières et ses instructions d'économie
à sa femme, je trouve encore ces lignes expressives, qui
se rapportent à ce fils de qui il attendait tout : « Il s'en
faut beaucoup, ma chère amie, que je te laisse riche , et
même une aisance ordinaire ; tu ne peux l'imputer à ma
mauvaise conduite ni à aucune dissipation. Ma plus grande
dépense a été l'achat des livres et des instruments de géo-
métrie dont notre fils ne pouvait se passer pour son ins-
truction; mais cette dépense même était une sage écono-
mie, puisqu'il n'a jamais eu d'autre maître que lui-même. »
   Cette mort fut un coup affreux pour le jeune homme,
et sa douleur ou plutôt sa stupeur suspendit et opprima
pendant quelque temps toutes ses facultés. Il était tombé
dans une espèce d'idiotisme, et passait sa journée à faire
de petits tas de sable, sans que plus rien de savant s'y
traçât. Il ne sortit de son état morne que par la botani-
que, cette science innocente dont le charme le reprit. Les
lettres de Jean-Jacques sur ce sujet lui tombèrent un jour
sous la main, et le remirent sur la trace d'un goût déjà
 ancien. Ce fut bientôt un enthousiasme, un entraînement
sans bornes ; car rien ne s'ébranlait à demi dans cet esprit
 aux pentes rapides. Vers ce même temps, par une coïn-
 cidence heureuse, un Corpus poetarum latinorum, ou-
 vert au hasard, lui offrit quelques vers d'Horace dont
 l'harmonie, dans sa douleur, le transporta, et lui révéla
 la muse latine. C'était l'ode à Licinius et cette strophe :

            Saepiùs ventls agitatur ingens
            Pinus, et celsse graviore casu
            Decidunt turres, feriuntque suimnos
                    Fulmina montes.

Il se remit dès-lors au latin, qu'il savait peu; il se prit