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427 mère, qui allaitait sa petite soeur, était tombée malade; l'enfant mourut de misère, et la mère languit sur son grabat. Le père de Jacques, malheureux canut, dont le travail pouvait à peine suffire à la nourrir, pâlissait sui* son métier jour et nuit, pour pouvoir prolonger de quelques instants l'agonie de sa Compagne. Combien de fois, le fiche négociant du quartier avait-il maudit cette rude machine à la Jacquard qui, fonctionnant dans le silence des nuits, venait troubler son paisible sommeil. C'était Lefêvre s'agi- tant sans relâche à la peine ; quand sa lampe pâlissait, il pâlissait ; quand une fibre de soie se brisait, sa poitrine se brisait; son corps affaibli et Courbé semblait s'être moulé Sut' les aspérités anguleuses de son métier; c'était une charpente à la Jacquard pleine de vie, que ces reins larges, ces longs bras et ces petites jambes de Lefêvre. Eh! combien n'en trou- ve-t-on pas à Lyon de ces existences qui s'écoulent obscures dans une case, fabriquant des tissus dont chaque filament coûte à leur front un ruisseau de sueur ? combien n'en voit- on pas, pendant les longues nuits d'hiver, de ces lampes bla- fardes qui veillent tremblottantes aux longues fenêtres du travail ; passez dans la moindre rue, sur les deux ou trois heures du matin; et vous serez étonné d'entendre à quel- que cinquième étage les sons enroués d'un métier de canut, qui, se confondant avec le râle de ses entrailles, arrivent jusqu'à vous à travers l'épaisse brume comme un long soupir d'angoisse et de misère; cependant on a encore trouvé jadis le moyen de ridiculiser cela; on a fait même, m'a-t-on dit, un vaudeville; et sur quoi n'en fait-on pas ? où l'on raillait le travail, en appelant le canut biss-tan- clak, par imitation du bruit que fait un métier en mar- chant. Jjfùaud un siècle arrive à rire ainsi, ce n'est plus que le rire de la fièvre ou de la folie.