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 était l à , couché, demi-nu, le front appuyé sur la pierre,
 cet oreiller du pauvre qui a faim, les genoux serrés contre
 sa poitrine et les mains serrées entre ses genoux, seul
 moyen que le mendiant ait de se réchauffer, pendant que
 les larges fenêtres des salons du riche s'ouvrent pour
laisser un libre passage à l'excessive chaleur du bal.
    Serizan sortait d'une de ces soirées intimes, d'une de
 ces réunions de famille, où l'étiquette et le luxe du grand
monde font place à la douce franchise, à la bonne liberté
du cœur. Jeune homme à l'ame aussi ardente que l'imagi-
nation, notre capitaine ne regardait les moindres incidents
de la vie qu'à travers un prisme de poésie; les faits se dé-
 pouillaient devant lui de leurs formes, ne laissant voir
 que leurs principes; les apparences tombaient, et il ne
restait que les idées. Ses camarades, ne le comprenant
pas, l'appelaient le fou , et comme sa nature était excen-
trique à la leur, dans ses moindres contacts avec eux, il y
avait choc; et force était à Serizan de se retirer.
     Ces dégoûts et ces tracasseries avaient beaucoup con-
tribué à augmenter la mélancolie naturelle de son carac-
tère ; à l'exception d'une ou deux familles auxquelles des
lettres particulières le recommandaient, dans la plupart
de ses garnisons, il ne voyait personne; en un mot, en-
tièrement séquestré dans sa chambre, il vivait retiré du
monde. Quelques livres, des poètes surtout, un ou deux
 historiens de prédilection, quelque peu de musique,
 étaient ordinairement ses seules récréations. Ame géné-
 reuse et forte, une passion surtout avait beaucoup con-
 tribué à lui faire de nombreux adversaires; passion noble,
 s'il en fut jamais, et que Ton écrasait impitoyablement
 sous le sarcasme et l'ironie : c'était un amour ardent pour
 l'humanité, q u i , lorsqu'il était contrarié, allait quelque-