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gies et que le soleil du lustre remplacent bien mal le grand jour et le vrai,
le chaud soleil de la nature, dont ces productions végétales ont besoin pour
paraître avec tous leurs avantages; il me semble voir là des prisonniers trans-
portés d'un climat lointain , arrachés à leur pairie, à leurs affecliotis, et
que l'on force d'assister enchaînés aux joies de noire civilisation, qui ne sau-
rait remplacer pour eux les jeux de leur sauvage patrie. Elles ne sont pas
moins belles, si vous le voulez, qu'au milieu d'un beau parterre, sous un
beau ciel; mais elles ont là , ces simples enfants de la nature, quelque chose
de contraint, de gêné, de souffreteux, qui leur va mal et nuit au charme de
leur aspect.
   Que j'aime bien mieux ces mille et mille jardins suspendus aux bords de
nos balcons et des fenêtres de nos quatrième , cinquième et sixième étages,
sur les terrasses , sur la corniche des toits, sur les toits même , dans tout
ce monde élhéré qu'habite une population laborieuse , qui cherche dans la
culture de quelques fleurs une distraction à ses travaux sédentaires, et qui
trouve dans la vue d'un soleil vivifiant une compensation aux cent cinquante
marches qu'elle est obligée de gravir pour arriver à son domicile. Là , sou-
vent chaque saillie, chaque espace horizontal est transformé en petit par-
terre artificiel, où les feuilles, les Heurs et les fruits, et les différents végé-
taux se succèdent suivant les saisons.
    Le plus souvent ce sont des fleurs bien communes: des giroflées jaunes,
des rosiers du Bengale , des lauriers roses, ou bien des capucines qui grim-
pent le long d'un imperceptible treillis tendu devant une fenêtre et qui for-
ment comme un réseau de verdure presque impénétrable au soleil; tous les
matins vous pouvez voir une petite main blanche écarter le feuillage avec une
délicate précaution et arroser les pieds de ces plantes chéries. A travers ce
rideau de feuillage qui cache les murailles noircies, les toits enfumés, et
ne laisse entrevoir qu'un coin bleu du ciel, il semble que l'air arrive plus
pur, que les rayons du soleil sont plus doux et plus caressants, elles pau-
vres créatures emprisonnées dans leurs ateliers, au cinquième ou au sixième
étage, peuvent se faire jusqu'à un certain point illusion et se croire trans-
portés au milieu des champs, sous la galerie de quelque rustique habitation
devant laquelle sont suspendus des pampres verts. Souvent, pour compléter
l'illusion , sous ces petits bosquets aériens , un pauvre oiseau captif, dont la
verdure cache aux regards la prison, trompé sans doute lui-même par le feuil-
lage qui l'entoure , gazouille et chante à plein gozier comme s'il jouissait de
la liberté des champs. Quelquefois aussi un jeune chat vient y prendre ses
ébats: il se plait à se faufiler, gracieux et souple, à travers les liges de ces
plantes fragiles, à y jouer avec un rayon de soleil ou à flairer, les yeux demi-