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Oh! qu'il vaudrait bien mieux s'endormir pour toujours
Dans le doux nonchaloir d'une vieille ignorance ,
Repousser le poison du fruit de la science,
S'enivrer de son rêve , et, sans crainte et sans bruit,
Se bercer du sommeil de l'éternelle nuit.

Car la vie est si courte et l'avenir si sombre ,
Si pâle est le rayon qui sillonne son ombre,
Si triste et si rongé de douleurs et de deuil
L'homme, dès le berceau, grandit pour le cercueil ,
Que nous devons laisser les choses inconnues
Nous voiler leurs secrets dans le ciel et les nues ,
Et courbant notre front sous le joug du destin ,
Narguer le sort jaloux et ses jeux incertains!
Aimons donc! aimons donc ! puisqu'aimer c'est la vie !
Puisque toute journée est de la nuit suivie ,
Puisque les doux serments nous font les jours plus beaux ,
Puisque tous nos aïeux, couchés dans leurs tombeaux ,
Et les deux mains en croix, ciselés sur la pierre ,
S'éveilleront si tard de leur froide poussière !

Ah ! sachons bien garder les instants de bonheur
Qui tombent, goutte à goutte, au fond de notre cœur ;
Amassons, dans ce lac, si calme et si limpide
Qu'un rien saurait troubler sa transparence humide,
Amassons les trésors des douces voluptés ,
Les souvenirs cachés des secrètes beautés ,
Les saints tressaillements, les extases de flammes,
Ce qui souffre et palpite et gémit dans toute ame.
Loin de tous les regards ombrageons-le de fleurs ,
Et venons sur le bord rêver avec des pleurs.
Cachons, cachons à tous ces rives parfumées
Où glissent bien souvent des images aimées ,
Et quand le monde est triste et quand le ciel est noir ,
Quand sur nos fronts blanchis déjà pèse le soir,
Revenons, revenons sur nos rives fleuries
Promener mollement nos folles rêveries !
                                     Ernest FAICONNET.
       Bourg, 25 août 1835,