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234 Oh! qu'il vaudrait bien mieux s'endormir pour toujours Dans le doux nonchaloir d'une vieille ignorance , Repousser le poison du fruit de la science, S'enivrer de son rêve , et, sans crainte et sans bruit, Se bercer du sommeil de l'éternelle nuit. Car la vie est si courte et l'avenir si sombre , Si pâle est le rayon qui sillonne son ombre, Si triste et si rongé de douleurs et de deuil L'homme, dès le berceau, grandit pour le cercueil , Que nous devons laisser les choses inconnues Nous voiler leurs secrets dans le ciel et les nues , Et courbant notre front sous le joug du destin , Narguer le sort jaloux et ses jeux incertains! Aimons donc! aimons donc ! puisqu'aimer c'est la vie ! Puisque toute journée est de la nuit suivie , Puisque les doux serments nous font les jours plus beaux , Puisque tous nos aïeux, couchés dans leurs tombeaux , Et les deux mains en croix, ciselés sur la pierre , S'éveilleront si tard de leur froide poussière ! Ah ! sachons bien garder les instants de bonheur Qui tombent, goutte à goutte, au fond de notre cœur ; Amassons, dans ce lac, si calme et si limpide Qu'un rien saurait troubler sa transparence humide, Amassons les trésors des douces voluptés , Les souvenirs cachés des secrètes beautés , Les saints tressaillements, les extases de flammes, Ce qui souffre et palpite et gémit dans toute ame. Loin de tous les regards ombrageons-le de fleurs , Et venons sur le bord rêver avec des pleurs. Cachons, cachons à tous ces rives parfumées Où glissent bien souvent des images aimées , Et quand le monde est triste et quand le ciel est noir , Quand sur nos fronts blanchis déjà pèse le soir, Revenons, revenons sur nos rives fleuries Promener mollement nos folles rêveries ! Ernest FAICONNET. Bourg, 25 août 1835,