page suivante »
101 de dessèchements. Jesuis loin de prétendre que Voltaire fût insensible à cette poésie des champs dont, au reste, on a tant abusé plus tard : mais il avait trop d'esprit ; chez l u i , l'esprit tuait le sentiment. Et puis, il avait, ma foi! bien autre chose à faire que des idylles et des pastorales. Dans sa retraite de Ferney, où il passa la dernière partie-de sa vie, une idée unique, une idée fixe, l'absorbait et le dominait tout entier. Il délayait cette idée en prose et en vers. Il en faisait des romans, des pamphlets-, des poèmes , des tragédies. Il se déguisait sous vingt masques différents ; il fatiguait les presses delà Suisse et de la Hollande, développant et exécutant sans relâche son plan de guerre contre l'église; disons mieux, contre- le christianisme qu'il voulait ramener au pur déisme. C'était une sorte de mission qu'il s'était imposée. Sa correspondance,, dont je parlais tout-à l'heure, me semble, à moi, le plus étonnant et le plus intéressant de ses écrits. C'est-là qu'on découvre les ressorts et la portée de cette croisade contre les idées chrétiennes. Les lettres à Dalembert, à Damilaville et à d'autres frères ou fidèles finissent presque toutes par ce terrible refrain : Ecrasez l'infâme ; courez sus à l'infâme. J'a- voue que je n'ai jamais pu lire ces mots sans éprouver une sorte de terreur : ils m'ont toujours donné le frisson, comme ferait une cloche qui sonne le glas funèbre, ou comme les coups de tam-tam que Mayerbeer a placés dans son admirable musique de Robert-le-Diable. Assurément, Voltaire ne soup- çonnait pas qu'on ferait un jour l'application matérielle de ses furibondes boutades, et qu'on prendrait à la lettre et au sens propre son refrain favorL S'il prévoyait une réforme, une révolution, au moins ne pensait-il pas que le fer et le feu s'en mêleraient. Au contraire, il croyait lire l'âge d'or dans l'avenir. Voici de remarquables ligne» qu'il écrivait, à ce su- jet , à Condor cet : « Un grand courtisan (1) m'a envoyé une singulière réfu> (1) Voyer d'Argenson.