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    La chambre à coucher de Yoltaire offre le même aspect
 de délabrement que le salon. On y voit encore le lit, dont
 les rideaux se sont singulièrement rapprochés du plancher
 supérieur. Ils sont tellement écourtés qu'il serait impossible
 de les toucher en étendant le bras. On m'a dit que les visi-
 teurs , à force de les palper et d'en emporter des lambeaux
 comme de précieuses reliques, "avaient ainsi réduit presque
 à néant ces innocents rideaux.
   J'ai pris cela pour une plaisanterie. Quoiqu'il en soit, il
 faudrait, à l'heure qu'il est, se livrer à un violent exercice
 gymnastique pour atteindre les fragments de l'étoffe vénérée ;
peut-êlre même serait-on contraint de dire : ils sont trop verts,
 comme le malicieux renard de la Fable, et avec aussi peu de
vérité que lui. Caries raisins de la treille étaient mûrs, et
ces pauvres rideaux doivent être mûrs aussi. S'ils étaient verts
jadis, comme je le crois, ils ne le sont vraiment plus du
tout, et le temps a découpé de fantasques festons sur celle
soie de couleur incertaine qui a survécu si long-temps à la
tête puissante qu'elle abritait. Je remarquai trois grands
portraits dans cette chambre, l'un de Yoltaire, l'autre du roi
de Prusse j et le troisième de Catherine II. J'eus beau pro-
mener mes regards dans toutes les parties de l'appartement,
je ne vis rien autre chose, et il me fallut concentrer toutes
mes émotions, toute ma poésie de souvenirs sur les restes de
rideaux, sur le tableau allégorique et sur les portraits....
C'était, comme vous voyez,une assez maigre pâture. Lors-
que je fus las de réflexions, je parcourus les jardins. Mon
Cicérone me conduisit avec complaisance sous une longue
allée de charmilles. C'est là, me dit-il, que tous les matins M.
de Voltaire venait faire ses méditations. Puis, tout en nous
promenant dans cette allée , il me fit une fort récréative his-
toire sur les entrevues de Gibbon et de Voltaire. Il me ra-
conta comme quoi Gibbon voulait voir Voltaire, et comme
quoi Voltaire ne voulait pas voir Gibbon. Le nœud de l'his-
toire, c'était la manière ingénieuse dont l'anglais s'y prit