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   des caves, bonnes conservatrices du vin des environs, que
   notre peur transformait en oubliettes, en souterrains féo-
  daux remplis de serpens ! Voilà les quatre vieux tilleuls à
  la porte, où le boulanger attachait son cheval, ma première
  monture ! Voilà le bois qui couvrait la maison par derrière
  et l'abritait de la bise! Oh! ce bois, qu'il était terrible,
  comme je tremblais quand j'en dépassais la lisière pour y
  aller chercher un nid de rouge-gorges ou une gracieuse fleur
  d'églantier ! Toujours une figure grave , froide, sévère j se
  trouvait sur mon chemin et me glaçait d'effroi ! Quel était
  donc cet homme que je me rappelle aujourd'hui comme si
  sa dernière apparition datait d'hier ? Je n'ai jamais pu péné-
  trer le mystère de son séjour au, bois de Fontaine qu'il me
  semblait ne quitter jamais. Etait-ce un criminel ? N'était-ce
 pas plutôt un de ces proscrits que les sévérités des derniers
 jours du Consulat forçaient à se cacher ? Qu'il était effrayant
 pour de pauvres enfans bercés avec des récils sinistres de
 la révolution qui finissait à peine ! Pourquoi les noms les
 plus lugubres des hommes de 1793 me vinrent-ils sur les
 lèvres preque toutes les fois que je le rencontrai au détour
du sentier où je courais avec mes frères et les compagnons
 de nos jeux? Il n'avait cependant pas l'air méchant; il était
triste et paraissait malheureux ! Jamais je n'ai vu sur sa bou-
che un sourire, ni dans ses yeux un rayon de joie ; même,
quand du revers de sa main il frappait doucement sur nos
joues fraîches pour nous caresser, son regard était fatal et
me paralysait. Il portait des armes : un grand pistolet sor-
tait d'un de ses goussets ; on voyait sur sa poitrine, el mal
caché sous son gilet, le manche d'un poignard; il marchait
lentement, l'œil au guet, un gros bâton ferré à la main.
Quelquefois il lisait, quelquefois il parlait tout haut et réci-
tait dans une langue étrangère de la prose ou des vers. Sa
t ê t e , belle et pâle, coiffée de longs cheveux noirs, était
abritée par un large feutre gris ; il avait d'épaisses mousta-
ches, de gros favoris, des sourcils larges et saillans ; son




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