Revue lyonnaise » n°4 ( 1882 ) » pp.267

                         LA J A R R E T I È R E BLEUE                             267
 réguliers; ce qui séduisait surtout, c'était sa physionomie franche
 et naïve, son sourire gracieux. Rien n'était irréprochable peut-être,
 mais l'ensemble inspirait une irrésistible sympathie.
    Tout à coup je sentis Oscar qui s'appuyait sur mon bras comme
 si ses jambes se dérobaient sous lui.
    « Qu'est-ce qui vous prend? dis-je un peu effrayé [en le voyant
 tout pâle.
    — Là .. là... tenez, ces deux jeunes filles qui entrent par la
porte de droite. »
    Je jetai les yeux dans la direction qui m'était indiquée et je
restai abasourdi. Ces deux jeunes filles étaient l'une et l'autre le
portrait vivant de celle que nous avions à côté de nous. Mme Morin
les appela et la cérémonie de la présentation eut lieu de nouveau.
    Renée, Lucile et Marthe Morin formaient, je vous assure, un
spectacle curieux. Leur ressemblance était complète, et besoin
devait être d'une longue habitude pour ne pas les confondre.
Inutile d'ajouter que la tendresse des parents s'amusait de ce jeu
de la nature et que les trois jumelles portaient la même toilette, les
mêmes simples bijoux et avaient la même coiffure1.
    « Eh bien! demandai-je à Bachereau en le menant un peu à
l'écart, votre cœur est-il toujours aussi sûr de son fait ? Est-ce
bien MUe Renée qui avait la jarretière bleue?
    — Mon ami, si on me racontait ce que j'ai sous les yeux, je
vous jure que je n'en croirais pas un traître mot; en quoi j'aurais
tort. C'est une chose inouïe, fabuleuse, c'est à se demander si ce
n'est point un rêve ! Quand nous avons eu MUé Renée là, seule
devant nous, j'aurais parié ma tête que c'était elle que j'avais
entrevue. Maintenant force m'est bien de convenir que je vous en
aurais dit tout autant si le hasard m'eût d'abord montré MUe Marthe
ou Mlle Lucile. Je ne sais littéralement plus où j'en suis.
    — Pauvre ami !
                    Devine si tu peux et choisis si tu l'oses

   Mais vraiment, à votre place je n'essaierais même pas de devi-
   1
     L'auteur prie qu'on ne l'accuse pas d'invraisemblance. Il a eu l'honneur 'de ren-
contrer souvent dans le monde deux jeunes filles qui ont fait commettre plusieurs fois
la même méprise, à lui et à beaucoup d'autres.