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188                   LA REVUE LYONNAISE
personne autre que sa vieille portière, Mme Lobligeois, qui régnait
despotiquement sur son ménage. Aussi ce fut un spectacle comique,
je vous assure, que la stupéfaction de la bonne femme quand elle
vit le plus rangé de ses locataires rompre avec ses habitudes
d'anachorète et m'introniser dans ce domicile jusqu'alors impi-
toyablement fermé aux profanes.
    Comme je l'ai dit, la légèreté de ma bourse m'interdisait tous les
plaisirs en honneur au quartier latin. Le café, les bals, les parties
fines étaient pour moi choses complètement inédites. L'excellent
Bachereau introduisit un peu de distraction dans ma vie. Après
mon maigre dîner, au lieu d'aller fumer une cigarette sur le
boulevard Saint-Michel pour échapper quelques instants de plus
à la nudité de ma mansarde, j'étais très heureux de me rendre
chez Oscar et de passer avec lui une partie de la soirée. 11
 m'accueillait avec joie et cette réunion quotidienne finit par nous
 devenir indispensable. J'avouerai que mon nouvel ami, quelque
 affection qu'il m'inspirât, n'avait d'abord été pour moi qu'un
 pis-aller ou à peu près ; mais quand je le connus mieux, ce qui ne
 tarda point, car le brave Oscar n'était pas difficile à pénétrer,
j'eus le plus réel plaisir à le voir. Son seul défaut était la timidité,
 mais une timidité poussée aux dernières limites. Il vivait dans la
 conviction qu'il était un être disgracié delà nature et que tous
 les gens qu'il rencontrait se moquaient justement de lui. Cette
 idée singulière lui venait, je crois, du lycée où sa douceur, sa
naïveté et son caractère indolent l'avaient bien vite rendu le
souffre-douleur de ses camarades. Persuadé de son infériorité, il
 se tenait à l'écart et évitait avec soin tout ce qui aurait pu attirer
l'attention sur lui. Son rêve était de passer inaperçu; pour en
 arriver là, il déployait autant de diplomatie que nombre de gens
 dans un but contraire. Je déplorais d'autant plus cette méfiance
 de lui-même qu'Oscar était loin d'être un sot. Il lisait beaucoup,
 et il avait profité de ses lectures. Quand il se sentit assez à l'aise
 avec moi pour se permettre de formuler une opinion, je fus surpris
 de la sûreté de son jugement et de l'étendue de sa mémoire. Les
 questions de philosophie ou de morale lui plaisaient plus particu-
lièrement, mais il ne les abordait jamais sans demander pardon de
 la liberté grande qu'il prenait, lui chétif, en osant traiter de sem-