Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
           NOUVEAUX SOUVENIRS DE POND1GHÉRY                           33
 au cou et aux poignets, des cercles de plumes aux pieds, regarde,
 avec un attendrissement mêlé de frayeur le paria agenouillé qui
lui présente une rose. Dans un coin, à gauche, un unique palmier
 incline sa tête, comme pour donner le consentement de la nature à
 cette violation des règles sociales.
    L'imagination est une belle faculté, et personne ne l'admire plus
 que moi ; mais qu'eût dit Bernadin s'il lui eût été donné de voir la
 réalité de son rêve? Je n'ai jamais rencontré de parias capables de
 s'élever jusqu'à la philosophie et à la délicatesse de sentiments.
J'en ai rencontré très peu capables de faire des domestiques honnêtes
et propres. Ils mentent et ils volent presque tous avec un cynisme
singulier. Ils jouent avec la santé du maître, en lui administrant des
drogues pour se venger de lui ou le dominer. Ils jouent même avec
sa réputation.
    Un magistrat avait l'habitude de jeter sur le papier, au sortir de
l'audience, des projets de jugements qui restaient jusqu'à perfection
sur son bureau. Son domestique, qui savait lire, en prenait connais-
sance, allait trouver le plaideur triomphant, et lui promettait gain
de cause, en stipulant tant pour lui que pour son maître des rému-
nérations considérables. Le plaideur crédule payait et obtenait par
une décision impartiale ce qu'il pensait devoir à son argent. Quand
tout se découvrit, le malheureux magistrat fut obligé de se retirer
devant les difficultés de la situation.
    La malpropreté est une autre qualité congéniale chez ces gens-
là. L'Européen qui veut pouvoir manger s'abstiendra de visiter sa
cuisine. Ceux qui s'y sont risqués ont assisté parfois à d'effrayants
spectacles. Un gourmet, chez qui se mangeaient les meilleures
côtelettes de la ville, a vu son cuisinier mettre la viande sous ses
aisselles et à l'endroit où finit le dos. Ce Vatel primitif trouvait tout
simple d'ajouter son parfum naturel à celui du mouton.
    Un autre a été surpris passazit une purée de pois dans le lam-
beau de toile infect qui lui servait de vêtement. Yoilà comment les
parias ressemblent à celui de la chaumière indienne. Leurs femmes
et leurs filles sont à peu près les seules Indiennes qui consentent à
consoler notre célibat. Tristes consolatrices ! Du bétel dans la
bouche, de l'huile de coco partout, un épiderme de buffle, des sens
réfractaires, un langage qu'on n'entend pas. Où donc le pauvre
       JUILLET 1882. — T. IV.                                   3